Compte rendu concerts. 37 iéme édition de Piano aux Jacobins ; Toulouse ; Cloître des Jacobins.
Le 6 septembre 2016 ; Richard Goode, piano.
Le 7 septembre 2016 ; Christian Zacharias, piano.
La fin des vacances et la rentrée des petits et grands ne représente pas le meilleur moment de l’année. Pourtant à Toulouse la rentrée est source de joie par le début du Festival Piano aux Jacobins. Le cadre du Cloître des Jacobins, la météo clémente, créent depuis 37 années le développement de soirées musicales d’exception. Ensuite un tuilage avec la saison symphonique de la Halle-aux-Grains dans un concert commun lance la riche saison musicale toulousaine et tout s’enchaine.
Cette première semaine nous a permis d’assister aux deux premiers concerts placés sous une météo des plus estivales.
Richard Goode a une nouvelle fois ouvert le festival. Cet invité régulier du festival représente le fleuron de l’école américaine de piano. Sa présence en Europe est bien trop rare car ses activités dans le nouveau monde sont multiples, entre autre il est le co-fondateur du prestigieux festival de Malboro.
En 2011 nous avions été subjugué par la musicalité de cet immense artiste. Ce soir n’a pas été placé sous le signe de cette musicalité d’altitude. Si les moyens du pianiste sont toujours aussi fascinants une ligne de force constante et une certaine dureté ont dominé ses choix interprétatifs. Dans la sonate de Mozart la frappe ferme et une sorte de raideur ont certes mis en lumière la noirceur contenue dans l’oeuvre mais ont empêché de déguster le charme et l’élégance que cette sonate contient.
Les pièces extraites du sentier herbeux de Janacek ont été toutes comme lissées sur un même moule, dans une même lumière et une unique couleur un peu vague. Cela a créée une belle respiration dans le programme
Ensuite la violence de son Brahms a surpris par le manque de sentiment. Un Brahms noir et puissant sans concession. La richesse harmonique, la complexe charpente des pièces a été dessiné avec art, mais sans la moindre souplesse et tout romantisme a été absent.
Les extraits du livre II des préludes de Debussy ont été abordés avec une sonorité pleine, beaucoup de pédale, une franchise de ton qui a évité la subtilité de couleurs attendue. L’effet est étrange car c’est comme si une sorte de saturation, de lumière constamment solaire empêchait cet esprit français si sensible dans les compositions de Claude de France, de se révéler.
En fin de programme dans le grande sonate 31 de Beethoven Goode a été royal et triomphant soulevant l’enthousiasme du public. Ce grand spécialiste de Beethoven, qui a gravé sonates et concertos dans des versions acclamées, a dominé avec puissance la belle partition. Son Beethoven est charpenté et incisif, parfois un peu massif mais toujours irrésistible. La structure comme dégagée au scalpel, avec des graves très sonores permet une interprétation majeure. La grandeur beethovenienne a été ainsi portée au firmament par un pianiste aux moyens vertigineux dans une cataracte sonore très impressionnante.
Le lendemain le concert de Christian Zacharias a été tout autre. D’aucun ont été amené à penser que le piano avait du été changé…
C’est cela la richesse de ce festival : proposer de soirs en soirs des visions si différentes de la musique qui peut se faire avec un piano.
Christian Zacharias et un musicien complet, soliste, chambriste, chef d’orchestre et compositeur. Dans sa présence au piano et dans ses interprétations cette complétude musicale est présente. Il a fait le choix d’un programme surprenant abordant deux compositeurs plutôt réservés aux clavecinistes.
Son bouquet de sonates de Scarlatti a permis un développement de subtilités de couleurs, de nuances de tempi tout à fait inhabituels. La fantaisie a été le maitre mot de cette interprétation si personnelle qui jamais n’a manqué d’élégance et a su doser une certaine pointe d’humour.
Le changement de couleurs, de toucher et l’aération dont son jeu a été porteur ont construit une interprétation lumineuse et délicate de la sonatine de Ravel. Christian Zacharias a pu rendre clairement à la fois l’hommage aux anciens contenus dans la pièce de Ravel et toute la modernité du propos. Un grand art de musicien. En effet rendre limpide le texte et le sous-texte musical avec cette simplicité est admirable et rare.
Les sonates de Padre Soler ont également été pleines d’esprit et de malice. La main droite d’une présence incroyable a signé l’atmosphère hispanique des sonates. Cette mise en lumière de l’architecture avec cette jubilation a créé un moment aussi léger que spirituel plein de bonheur.
Avec la dernière partie consacrée à Chopin le génial interprète a comme ouvert une dimension supplémentaire en terme de puissance émotionnelle et d’immenses moyens pianistiques assumés. Les mazurkas sont des partions difficiles en ce qui concerne le sentiment et l’interprétation dans une mélancolie luttant contre le plaisir du souvenir passé. Plus que les polonaises elles chantent l’attachement de Chopin à son passé polonais.
L’esprit et la délicatesse des phrasés, la beauté des couleurs, le rubato élégant, tout un monde de poésie est né sous les doigts magiques de Christain Zacharias. Et que dire de la virtuosité fulgurante, et la puissance orchestrale dont il est capable !
Un musicien d’exception a enchanté le piano, comme le cloître pour la plus grande joie du public (concert complet ayant refusé du public).
Il est certain que le concert de Christian Zacharias avec Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole le 17 septembre prochain à la Halle-aux-Grains atteindra des sommets de musicalité avec le si extraordinaire 5 iéme concerto de Beethoven !
Merci à Catherine d’ Argoubet qui sait programmer des artistes si beaux et si divers avec cette constance dans la stimulation de l’écoute.
Hubert Stoecklin
Compte rendu publié sur Classiquenews.com
Le 6 septembre 2016 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate pour piano en la mineur K.310 ; Leos Janacek (1854-1928) : Sur un sentier herbeux, extraits ; Johannes Brahms (1833-1897) : 6 pièces Op.118 ; Claude Debussy (1862-1918) : Extraits du livre II des préludes ; Ludwig Van Beethoven (1770- 1827) : Sonate pour piano n°31 en la bémol majeur, Op.110 ; Richard Goode, piano.
Le 7 septembre 2016 ; Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates en mi majeur K.162, en do mineur K.226, en mi bémol majeur K183, en fa mineur K. 183, en fa mineur K.386 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Sonatine ; Padre Antonio Soler (1729-1783) : Sonates en sol mineur N°87,en ré mineur N°24, en ré majeur N°84, en ré bémol majeur N°88 ; Fréderic Chopin ( 1810-1849) : Scherzo N°1 en si mineur, Op.20 ; Mazurkas N°1 en ut dièse mineur,Op41, en la mineur, Op. Posthume (KK2B n°4), en la mineur Op.17 n°4 ; en ut dièse mineur Op.30 n°4 ; Scherzo en si bémol mineur, Op.31 n°2 ; Christian Zacharias, piano.