Il n’est finalement pas si fréquent de dégainer l’artillerie lourde pour évoquer un film et le qualifier de chef d’œuvre. Surtout lorsqu’il est question d’un film d’animation qui plus est non japonais. Et pourtant, à la sortie de la projection, des étoiles plein les yeux et la gorge un brin nouée, c’est bien le terme qui s’impose. Chef d’œuvre à plus d’un titre : simplicité (eh oui !), intelligence, graphisme, scénario, son, couleurs. Où il est question d’un homme dont la scène liminaire laisse peu de probabilité quant à la survie.
Mais non, la mer en furie qui le ballottait va le rejeter sur la plage d’une île déserte dont les seuls êtres vivants sont des oiseaux, des crabes et des tortues. L’homme ne se déclare pas vaincu par le sort. Il construit un radeau et fuit ce lieu inhospitalier. Peine perdue, une force étrange issue des profondeurs détruit presque immédiatement cet esquif de fortune. Nouvelle tentative. Même résultat. Cette force est une immense tortue rouge qui finit par venir le narguer, mettant l’homme dans une colère noire. Retourné à terre, désespéré, il va trouver le moyen de se venger de l’animal. L’histoire devient alors un conte… Bientôt l’homme ne sera plus seul. Une jeune femme va briser sa solitude. Puis de deux ils seront trois. La vie sur l’île est devenue heureuse. Cette famille loin de tout s’est considérablement rapprochée de la nature. Celle-ci lui offre ses dons à profusion, même si parfois elle se manifeste violemment. Ainsi le temps s’écoule, serein, libre.
Le petit garçon grandit en même temps que les cheveux de ses parents grisonnent. Le cycle de la vie s’accomplit face à des tortues toujours présentes et mystérieuses. Pas de dialogue ici, mais un son fait de bruits, de silences et d’une musique limpide et envoûtante. Si le trait est presque un hommage à ce que la bd belge a produit de plus légendaire, il n’en demeure pas moins la marque d’un grand. Réalisé à l’ancienne, à l’aquarelle et au fusain, ce film est d’une beauté picturale incroyable. Il pose en creux des questions essentielles sur notre vie d’aujourd’hui, nous laissant, un peu pantois et face à nous-mêmes, le soin d’y répondre. Les prestigieux studios Ghibli (Miyazaki) n’ont pas hésité, pour la première fois de leur histoire, à s’associer à cette production. C’est tout dire. A voir d’urgence et toutes affaires cessantes !
Robert Pénavayre
La tortue rouge
Réalisation : Michaël Dudok de Wit
Durée : 1h20
Genre : Animation
Michaël Dudok de Wit – Un premier long qui rebat les cartes de l’animation mondiale
Ce Néerlandais dans une jeune soixantaine, vient d’entrer de plain-pied dans la cour des grands de l’animation. Est-ce une surprise ? Non, car ses courts-métrages ont déjà reçu des récompenses unanimes (Oscar, César). Le film sous rubrique est reparti de Cannes cette année avec le Prix Spécial du Jury dans la sélection Un Certain Regard.
Beaucoup plus impressionné par les courts métrages d’animation de l’Europe de l’Est que par les blockbusters d’Outre-Atlantique, ce fils d’un importateur de sucre et d’une maman au foyer ne se veut pas écologiste malgré la présence permanente et active de la Nature dans ses réalisations. Il est aujourd’hui une star dans son métier, courtisé comme il se doit et pourtant simplement heureux de vivre.