Avant de parler de cette mise en scène qui ne plaît pas à tout le monde, il est important de saluer une distribution rossinienne intéressante. Tout d’abord Isabelle est incarnée par une grande spécialiste du rôle, l’italienne Marianna Pizzolato. Cette grande et belle voix claire de projection et profonde de timbre fait merveille. La technique vocale est parfaite avec lors des reprises des abellimenti de grande virtuosité. Les aigus sont dardés et les graves pulpeux. L’homogénéité du timbre, la longueur du souffle, les trilles parfaitement réalisés confirment une belcantiste de haut vol. Son amoureux le ténor Maxim Mironov est un Lindoro de rêve tant vocalement que scéniquement. Le ténor russe a une voix agréablement sucrée sans mièvrerie. Lui aussi a un timbre d’une homogénéité parfaite et vocalise admirablement. C’est pourtant son legato et son utilisation de nuances et des couleurs qui font tout le prix de ses délicieuses cavatines. Pietro Spagnoli est un Mustafà intéressant, connu du monde entier. Sans avoir la beauté vocale du duo d’amoureux, il sait utiliser sa technique impeccable pour rendre hommage à la diabolique partition de Rossini. L’aisance scénique lui permet de traverser toutes les épreuves que lui réservent Rossini et Scozzi, avec flegme.
En Taddeo, Joan Martín-Royo sait rendre sympathique ce rôle peu valorisant. La Zulma de Victoria Yarovaya est agréable de timbre et sa présence dans les ensembles est remarquable. Seuls Gan-ya Ben-gur Akselrod en Elvira au timbre acide et Aimery Lefèvre en Haly à la voix ce jour trop discrète sont un peu en dessous des attentes. Le choeur d’homme du Capitole est agréable à tout moment, très présent sans trop de brutalité dans les choeurs un peu rustres.
L’orchestre dirigé par Antonio Fogliani est virtuose mais un peu trop présent. Les tempi manquent de souplesse et les crescendi ne sont pas assez grisants dans les finals. La direction est un peu trop ferme et manque de rubato.
MISE EN SCENE. Quand à la mise en scène, il faut bien dire que son humour est décapant et que le visage de l’exploitation de la pauvreté, de la prostitution ainsi dénoncé, n’est forcement pas au goût de tous. Pourtant notre beau pays a du mal a lutter contre la prostitution et les mâles de notre pays n’y renoncent pas, tout civilisés qu’ils se prétendent. Alors le sexe dans sa violence ainsi mis en scène avec en gros plan un couple sexy qui se massacre dès avant le lever de rideau … et qui finira avec des visage tuméfiés fait choc. Et ces danseurs doués, Elodie Ménadier et Olivier Sferlazza, vont décliner à la manière d’une bande dessinée satyrique le mal qu’un homme et une femme peuvent se faire qui est sans limites… Match qui sera gagné au filet par la femme.
Et le message est au final assez bienveillant. C’est l’amour d’Isabella et Lindoro qui justifie tous les moyens employés pour retrouver son droit d’exister. Le sexe banal et frénétique, (comme un lapin) de Mustafa, décrit bien une forme d’activité que ne renient pourtant pas les plus puissants, avec l’argent plus généreusement donné que toute autre chose. Isabella bien en chaire et imaginative (l’initiation de Mustafa au rite sado-maso) sait rendre un peu de vie au puissant Bey qui s’ennuie ferme dans sa vie comme au lit…
Elles, prostituées sur talon aiguilles, pauvres filles calibrées, sans vie propre, habillées des fantasmes les plus ringards, sont bien fades. Même le strip-tease intégral est moribond. Le sexe si banalement robotisé est mortel. L’audace de Laura Scozzi a donc été de tendre un miroir à notre société dite cultivée qui ne sait pas faire évoluer la bestialité tapie au fond de trop d’hommes. C’est leur tendre un miroir de mortel ennui sur leur sexualité, à la manière du film Shame, alors que la vie exulte en Isabella, qui sait ne pas se laisser enfermer et libère les esclaves (du sexe pour le sexe ?).
Le seul regret sera celui d’avoir été trop distrait de la perfection vocale du couple d’amoureux. Occuper les chanteurs à tout moment et leur faire faire des choses pour faire quelque chose… n’est pas notre conception du jeu à l’opéra.
La suavité du chant de Maxim Mironov en Lindoro ne gagne rien à faire du bricolage ou tailler un bosquet… Isabella au bain est bien venue, mais lui faire éplucher des légumes ou s’agiter au ménage n’apporte rien. Les décors tournants sont la vraie originalité qui permet très rapidement de changer de pièce tout en percevant le huis-clos de l’ennui.
Laura Scozzi a fait mieux que moderniser cet opéra emplumé et enturbanné : elle a décapité le mythe de la prétendue liberté sexuelle actuelle qui autorise l’asservissement.
Compte-rendu, opéra.Toulouse,Capitole,le 29 mai 2016; Gioacchino Rossini (1792-1868): L’Italienne à Alger, dramma giocoso en deux actes sur un livret d’Angelo Anelli créé le 22 mai 1813 au Teatro San Benedetto,Venise; Nouvelle coproduction avec le Staatstheater de Nuremberg (février 2017); Laura Scozzi,mise en scène; Natacha Le Guen de Kerneizon, décors; Tal Shacham, costumes; François Thouret, lumières; Avec: Marianna Pizzolato, Isabella; Maxim Mironov, Lindoro; Gan-ya Ben-gur Akselrod, Elvira; Pietro Spagnoli, Mustafà; Joan Martín-Royo, Taddeo; Victoria Yarovaya, Zulma; Aimery Lefèvre, Haly; Elodie Ménadier et Olivier Sferlazza, le couple de danseurs; Orchestre National du Capitole; Choeur du Capitole, Alfonso Caiani direction; Antonio Fogliani, direction musicale.
Illustration : © Patrice Nin