Pour la 2ème fois en 40 ans, The Who passent à Toulouse ; la première, c’était au Parc des Expositions. Cette fois-ci, c’est au Zénith qui est pratiquement complet, avec une majorité de quinquagénaires et sexagénaires comme moi, accompagnés parfois de leurs progénitures, un peu ébahie par la ferveur des parents.
Le son est parfait, le jeu de lumières et le light-show superbes, l’équipe technique a bien travaillé, on reconnait la qualité britannique du travail de spectacle.
Pour cette tournée du 50ème anniversaire du groupe, l’émotion n’est pas que dans le cœur des fans, mais aussi palpable dans la voix de Roger Daltrey : « Ce concert est pour vous : sans vous, nous ne serions qu’un petit groupe de rock qui fait les bars », répète-t’il au fil des concerts.
Et ils nous offrent une série impressionnante de « tubes » : Who Are You, The Kids Are Alright, I Can See For Miles, My Generation, Bargain, Behind Blue Eyes, Join Together, I’m one, You Better You Bet, Eminence Front, Amazing Journey, Sparks, Pinball Wizard, See Me, Feel Me, The Real Me, Love, Reign O’er Me, Teenage Wasteland (Baba O’riley)… Leurs chansons, ce mélange de rythme irrépressible et de mélodies à l’anglaise, ces hymnes que nous connaissons par cœur, sans nous en lasser, n’ont pas pris une ride.
Pour le final d’anthologie, Won’t Get Fooled Again, tout le Zénith est debout : Nous ne serons plus jamais fous. Fous de politique, non, mais fous de cette musique, oui !
On sent que Zak Starkey (le fils d’un certain Ringo) a biberonné au jeu du batteur délirant, feu Keith Moon. Par contre, Pino Paladino, excellent bassiste au demeurant, n’arrive pas à faire oublier le grand John Entwistle, si ce n’est par son hiératisme. Peut-être par excès de modestie, il se fond dans le reste des musiciens, dont le petit frère Simon Townshend, qui a chauffé la salle en première partie.
Mais les deux figures de proue du groupe sont toujours là, et bien là : même si les années ont marqué leurs visages et leurs corps, ils ont toujours l’énergie de leurs 20 ans.
Roger Daltrey, né en 1944 (72 ans !), ancien ouvrier métallurgiste connu pour son aversion des drogues et du tabac, pour ses réactions parfois violentes à ses débuts, atteint il y a peu d’un cancer de la gorge dont il a guéri (il promeut depuis de longues années Teen Cancer America, une association qui offre les meilleurs traitements aux adolescents atteints de cette maladie), délivre en chantant une énergie hors du commun. Véritable athlète, menant une vie de gentleman-farmer loin des excès du show-business, il a développé au fil des années un jeu de scène très spectaculaire. Même si parfois sa puissance vocale le dépasse lorsqu’il s’entend mal en retour avec son sonotone, il chante toujours aussi bien, compte tenu de son âge.
Né le 19 mai 1945 à Londres (71 ans !), Pete Townshend, fut dans les années 60, avec Jeff Beck, Jimi Page, Eric Clapton et Jimi Hendrix, l’un des guitaristes les plus novateurs du rock. Il fut l’un des premiers à utiliser des effets comme le larsen dans un style qui préfigurera le hard rock. Et il montre toujours la même maestria, même s’il ne saute plus aussi haut en faisant le grand écart ou ne casse plus ses guitares et ses amplis. Ayant la réputation d’être réservé, presque timide, dans la vie de tous les jours, il devient sur scène un « performer » impressionnant, célèbre pour ses soli dévastateurs qui ont ravi des générations de fans, mais lui ont abimé les oreilles (en 1989, il a créé l’association H.E.A.R (Hearing Education and Awareness for Rockers) pour aider les jeunes guitaristes de rock à se protéger des effets néfastes des hauts volumes sonores sur l’audition). Il est l’auteur de la plupart des musiques et des textes du groupe ; et ces derniers ne sont pas aussi simplistes que certains le pensent, au contraire. Deux exemples parmi tous ceux au programme ce mardi de juin 2016 :
DERRIERE LES YEUX BLEUS BEHIND BLUE EYES
Personne ne sait à quoi cela ressemble
D’être le bouc émissaire
D’être l’homme triste
Derrière des yeux bleus
Personne ne sait à quoi cela ressemble
D’être détesté
D’être obligé
De ne dire que des mensonges
De se cacher derrière des apparences
Mais mes rêves
Ne sont pas aussi vides
Que ma conscience semble l’être
Je passe des heures entièrement seul
Mon désir d’amour et de vengeance
N’est jamais assouvie
Personne ne sait à quoi cela ressemble
De ressentir ces sensations
Comme si j’étais écorché vif
Et je vous en veux pour cela
Personne ne se mord aussi fort les lèvres
Quand la colère l’envahit
Pour ne laisser rien apparaître
De la douleur et du chagrin
Personne ne sait à quoi cela ressemble
D’être le bouc émissaire
D’être l’homme triste
Derrière des yeux bleus
Quand mes poings se serrent, desserrez-le doucement
Avant que je ne les utilise et que je ne perde mon calme
Quand je vais hurler, dites-moi quelques mauvaises nouvelles
Avant que je n’agisse comme un animal sauvage
Si j’avale trop de pilules de toutes les couleurs
Mettez vos doigts profondément dans ma gorge
Si je tremble, s’il vous plaît donnez-moi une couverture
Tenez-moi chaud, laissez-moi porter votre manteau
Personne ne sait à quoi cela ressemble
D’être le bouc émissaire
D’être l’homme triste
Derrière des yeux bleus
LOVE REIGN OVER ME L’AMOUR REGNE SUR MOI
L’amour Règne Sur Moi
Seulement l’Amour
Peut faire pleuvoir
De la façon dont la plage est embrassée par la mer.
Seulement l’Amour
Peut faire pleuvoir
Tel la sueur d’amoureux
Couchés dans les champs.
L’Amour, règne sur moi, règne sur moi.
Seulement l’Amour
Peut apporter la pluie
Qui te fait languir dans le Ciel.
Seulement l’Amour
Peut apporter la pluie
Qui tombe comme les larmes d’En-Haut
L’Amour, règne sur moi
L’Amour, règne sur moi, règne sur moi.
Sur la route sèche et poussiéreuse
Les nuits que nous passons seuls ensembles
J’ai besoin de rentrer à la maison dans la pluie fraiche.
Je ne peux pas dormir et je médite
Les nuits sont chaudes et aussi noirs que de l’encre
Oh, mon Dieu, J’ai besoin d’un verre de pluie fraiche.
Au delà de la nostalgie, Daltrey et Townshend assument avec force et talent ce qui fait leur raison de vivre et ce qu’ils représentent.
The Who sont le premier groupe de rock de ma génération que j’ai vu sur scène en juin 1965 à Londres. J’avais 16 ans et j’ai profité d’un voyage avec le Collège et de la complicité d’une professeure d’anglais (autres temps) pour fuguer une nuit de l’hôtel où nous étions hébergés pour partir à l’aventure, après avoir remarqué une affiche noire et blanche avec une photo d’un guitariste en pleine action dressant sa Rickenbaker. Je suis allé un peu à l’aventure au Marquee Club dans Wardour Street, où avait lieu le concert. Ce fut pour moi une véritable révolution, car mon père n’écoutait que du Wagner. Je suis devenu « un fan », comme on dit, et je collectionne tous leurs disques ! 42 ans plus tard, pour ses 20 ans, mon fils Romain, m’a demandé de l’emmener voir un concert de ces mêmes Who au Palais omnisports de Paris Bercy, ce que j’ai fait avec un immense plaisir, retrouvant toutes mes sensations d’adolescents, une transe libératrice. Avec Hendrix et les Doors, s’ils m’ont souvent conduit à une certaine prise de conscience et révélé une partie de moi-même, ils m’ont surtout fait rêver et danser.
Aujourd’hui au Zénith de Toulouse, je me rappelle comme si c’était hier cette révolution musicale qui m’a étreint il y a plus de 50 ans, avec The Who en particulier ; comme la majorité de la salle sans doute.
L’esprit du rock-and-roll pourrait bien être celui des sixties, des années 60, avec ses excès, les défauts de ses qualités, son « lait caillé » comme se plaisait à dire notre ex- Président, mais surtout avec ses fulgurances, ses tendresses, et même ses mystiques, résumés en deux mots qui veulent dire « faire l’amour », dans l’argot des afro-américains.
Cet esprit jaillissait des musiques, bien sûr, mais aussi des textes, souvent de véritables poèmes, ignorés par bon nombre de ceux qui ont aimé et qui aiment encore cette musique. Grâce à John Lennon, nous avons imaginé « un monde sans guerre », où l’amour pourrait être libre ; grâce à Jim Morrison, nous avons compris que « même si nous sommes des passagers de la tempête, nous devons nous réapproprier nos corps comme nos esprits » ; grâce aux Who, nous nous sommes sentis membres d’une génération, celle d’après-guerre, qui étouffait dans un carcan conservateur et aspirait à la liberté. Au-delà d’une révolte spontanée, ils affirmaient que « seul l’Amour rend beau », que « personne n’a le droit de nous dicter nos choix de vie ».
Ils se sont avancés, nus et terriblement vulnérables, sur les tréteaux de la place publique. Ils ont même payé de leur vie, pour certains, le détournement des médias, à une époque où celui-ci devenait la chasse gardée d’une politique autoritaire; pour leurs excès aussi comme Keith Moon, ce batteur légendaire.
Malgré la violence féroce de la répression contre ceux qui osèrent défier l’ordre établi, malgré la guerre du Vietnam où de milliers de jeunes soldats et de civils innocents perdirent la vie, ce fut malgré tout une période magnifique, une formidable explosion de sensations nouvelles, une renaissance intellectuelle, une floraison sans précédent dans tous les domaines artistiques sans exception : on a pu parler de Printemps au pluriel. Il n’y avait pas le Sida et la prospérité économique régalait encore les appétits les plus forts, après de longues périodes de disette…
C’est pour cela qu’à soixante ans, encouragé par mes fils, j’ai décidé de donner à entendre mes adaptations françaises de Mes Poètes du Rock*, avec mon ami Serge Faubert, mon « guitar hero ». Pour leur transmettre la vision du monde de ma génération, des révoltés de la tendresse qui ont incarné cet esprit. Si je devais tirer pour eux une leçon de cette époque révolue, je leur dirai que cet « espoir à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous » (Nazîm Hikmet), chanté par les artistes, Musiciens, Plasticiens, Poètes, n’est pas une Utopie.
Que l’on est toujours perdant lorsque l’on renonce à ses convictions et à ses principes, en particulier les Droits de l’Homme et du Citoyen.
Qu’il ne faut jamais oublier que rock and roll signifie d’abord « faire l’amour » et que les médecins disent que c’est bon pour la santé, que quand on aime, on a toujours 20 ans.
Et que « la Musique est notre meilleure amie. Jusqu’à la fin ! ».
Thanks a lot The Who, j’espère vous voir encore une fois en concert : ce ne sera que la huitième !
Long live Rock ! Long live The Who !
E.Fabre-Maigné
14-VI-2016
Pour en savoir plus :
Je vous recommande leur Live at Leeds (j’y étais), la quintessence du rock, mais aussi Who’s next, leur chef d’œuvre, et Quadrophenia, où l’art de Pete est à son zénith.
*Mes Poètes du Rock, en concert le jeudi 15 décembre à 18h 30 à la Bibliothèque Nathalie Sarraute de Soues (Tarbes).