La Cinémathèque de Toulouse projette douze films de Marco Bellocchio, cinéaste italien en lutte contre les conformismes et les aliénations sociales de son pays.
Marco Bellocchio est né en 1939 à Bobbio, ville italienne de l’Émilie-Romagne : «Bobbio est très importante dans ma vie. C’est la ville natale de mon père où je passais de longues vacances, au bord de la Trebbia. Sur ses rives, Hannibal a vaincu les Romains. C’est là que j’ai appris à nager, connu mes premières expériences sentimentales, tourné mon premier film, « les Poings dans les poches », en 1965. Bobbio était encore, après la guerre, un lieu de pouvoir spirituel et matériel. On y trouvait un évêque, un séminaire et beaucoup de prêtres qui vivaient dans la crainte du communisme. La ville était tenue par la démocratie chrétienne, le bras séculier de l’Église. J’ai vécu dans cet univers social et culturel que j’ai absorbé», racontait récemment le cinéaste dans les colonnes du quotidien La Croix.
En rupture avec l’héritage néo-réaliste, dressant un constat violent de la décomposition de la famille bourgeoise, « les Poings dans les poches » (photo) fait scandale. Deux ans plus tard, passant au scalpel la réalité politique et sociale de l’Italie, Marco Bellocchio analyse les rapports de classe dans « la Chine est proche ». En 1968, il milite en réalisant des documentaires de propagande politique. En 1971, il prend pour cible la religion catholique dans « Au nom du père », à la fois pamphlet et film autobiographique. L’année suivante, « Viol en première page » dévoile les collusions entre classes politique et médiatique.
En 1975, Marco Bellocchio tourne « Fous à délier », documentaire sur le système psychiatrique. Suivent une série de films sous influence psychanalytique : réflexion sur le pouvoir avec « la Marche triomphale » en 1976, la hantise du suicide dans « le Saut dans le vide » en 1979, les troubles de la personnalité dans « Henri IV, le roi fou », d’après Pirandello, en 1984, puis « la Sorcière » en 1987. « Le Diable au corps », en 1986, et « Autour du désir » (La Condanna), en 1991, poursuivent cette veine psychologique mais agrémentée d’un fort potentiel érotique.
«Durant une première période de mon travail, marquée par l’engagement politique à gauche, ma révolte était destructrice, presque morbide. Par la suite, lorsque je me suis aperçu que les réponses idéologiques étaient insuffisantes, j’ai commencé à faire un travail sur moi-même, sur les forces inconscientes qui gouvernent les individus et a fortiori la création artistique. J’ai cherché un autre chemin, beaucoup plus profond et personnel, que celui du changement de la société. Je refuse que toute idée préconçue guide mon travail. Je refuse de me conformer à quelque orthodoxie que ce soit – politique, scénaristique, ou philosophique. J’en ai fini avec cette crainte, qui m’a longtemps poursuivi, de trahir une juste cause. Disons que je me fie davantage à mon intuition qu’aux problèmes de conscience soulevés par la nature de mes sujets»(1), assure le cinéaste.
Marco Bellocchio adapte en 1997 « le Prince de Hombourg » (photo), de Heinrich von Kleist, puis « la Nourrice », de Luigi Pirandello, deux ans plus tard. Cinéaste en lutte contre les conformismes et les aliénations sociales, il signe en 2002 « le Sourire de ma mère », nouveau règlement de comptes avec la famille et la religion. Il affronte ensuite un solide tabou politique dans son pays, revenant sur les années de plomb avec « Buongiorno, notte » – à propos de l’affaire Aldo Moro.
En 2006, « le Metteur en scène de mariages » suit un cinéaste retiré en Sicile : «Bellocchio reste fidèle à son inspiration. On retrouve là intact le thème d' »Au nom du père » (1971), où l’artiste optait pour un théâtre progressiste et démystificateur afin de combattre la tradition des rapports pères-fils et prêtres-élèves. Et, en une sorte de décalque, celui du « Sourire de ma mère », où un peintre se révoltait contre le procès en canonisation de sa mère et le retour d’une dévotion à l’Église, tout en tombant amoureux d’une jeune femme qui, passant du complot des soutanes à l’audace des impulsions, pouvait incarner un espoir de résistance aux endoctrinements», écrivait alors Jean-Luc Douin dans Le Monde.
Plus récemment, « Vincere » dévoile la maîtresse cachée du jeune Mussolini : «Il la connaît alors qu’il est encore un socialiste révolutionnaire, et elle donne naissance à un fils. Lors de sa conversion au fascisme, il l’abandonne, puis se remarie. Mais elle ne renonce pas à faire valoir ses droits. Une fois au pouvoir, il la fait interner dans un asile psychiatrique, où elle finira par mourir en 1937, sur l’île de San Clemente, suivie par leur fils, Benito Albino, quelques années plus tard. Cette histoire extraordinaire m’a profondément touché, pour ce qu’elle représente en elle-même, mais aussi parce qu’elle recoupe, sur le plan intime, ce passage politique de Mussolini du socialisme au fascisme»(1), confesse le cinéaste.
Dans « la Belle endormie » (photo), Marco Bellocchio s’intéresse à la question de l’euthanasie, montrant «une société écartelée entre son héritage catholique et la modernité, société parfois au bord de l’implosion, rejoignant ainsi l’un des thèmes récurrents de son cinéma : la folie», constatait Serge Kaganski dans Les Inrocks, en 2013. Dans « Sangue del mio sangue » (Sang de mon sang), son film le plus récent, «Bellocchio égratigne au passage le monde contemporain qui n’a pas su échapper aux institutions qui plombaient déjà les sociétés du passé : l’Église, la corruption politique, le règne de l’argent, la justice aux ordres des puissants. Mais le ton et la mise en scène demeurent toujours en retrait de tout jugement didactique définitif. Le film garde son mystère pour faire travailler notre inconscient, remuer en nous d’antiques peurs (du désir, de la mort), faire ressurgir le souvenir des romans échevelés dont on a oublié le titre, l’auteur, mais pas les émotions qu’ils nous ont procurées», écrit Jean-Baptiste Morain dans Les Inrocks.
«J’ai toujours essayé de réaliser des images belles, originales, fortes pour lutter contre le cinéma de mots et affirmer la puissance du 7e art. Je suis resté un grand admirateur du cinéma muet, inspiré notamment par l’esthétique de Carl Dreyer. J’ai commencé ma carrière comme peintre. La peinture a toujours été une source d’inspiration. Mais je ne filme pas à la manière de, ou par imitation», avouait en octobre dernier Marco Bellocchio dans La Croix, au moment de la sortie française de son film « Sangue del mio sangue ». À vérifier à la Cinémathèque de Toulouse, le temps d’une rétrospective en douze films.
Jérôme Gac
(1) Le Monde, 22/03/2009
Rétrospective du 14 au 27 avril ;
Rencontre avec Pier Giorgio Bellocchio (acteur), samedi 23 avril, 19h00.
La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.
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photo: « Le Prince de Hombourg » ©
collections La Cinémathèque de Toulouse
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