Avec « Vania » au Théâtre du Pavé, les cinq comédiens complices du collectif FAR resserrent l’œuvre de Tchekhov dans une mise en scène au service de la pièce.
«Des roses d’automne, charmantes et tristes»… c’est ce à quoi ressemblent les personnages d’ »Oncle Vania », de Tchekhov, que le collectif FAR a adapté dans une version resserrée à cinq personnages. Soit Ivan Petrovitch dit Vania (Denis Rey), sa nièce Sonia (Cécile Carles) et fille du professeur Alexandre Serebriakov (Laurent Pérez), la jeune épouse de ce dernier, Elena (Sylvie Maury), et enfin le médecin et ami de Vania, Mikhail Lvovitch Astrov (Olivier Jeannelle). Tous sont réunis dans la propriété de Serebriakov qu’entretiennent depuis des années avec abnégation Vania et Sonia.
Pièce en quatre actes, « Vania » avance subtilement au gré des mouvements intérieurs de personnages à l’automne de leur vie, désenchantés et frustrés, aux prises avec eux-mêmes. Dans ce huis clos de la petite bourgeoisie du XIXe siècle, on s’ennuie ferme au fin fond de la campagne russe. Alors on boit, on mange, on parle, on s’invente des maladies et on s’éprend. Mais dans cette valse des sentiments, si l’un fait un pas en avant, l’autre en fait deux en arrière. Ce chassé-croisé amoureux se terminera comme il a commencé : sans panache et sans drame et chacun finalement restera seul. Ici pas de tragédie comme dans « la Mouette ». Tout est ratage et résignation. À l’image de ce coup de revolver de Vania qui manque sa cible, les désirs des uns et des autres ne se rencontrent jamais, malgré la volonté de chacun de dépasser ses interdits.
S’adressant au spectateur pour le prendre à parti, chacun d’entre eux nous renvoie à notre propre condition humaine : la vieillesse, la solitude, la jalousie, la vacuité, les désillusions, l’usure du couple, les amours contrariés… Malgré l’amertume et la colère des héros tchekhoviens, l’humour et la dérision tirent la pièce vers la comédie, et le burlesque même, notamment grâce au personnage de Vania. Le rôle-titre est servi par un Denis Rey très inspiré et incarné, clown lucide et mélancolique aux répliques percutantes. Les autres comédiens ne sont pas en reste. Cécile Carles campe une Sonia émouvante, emplie d’une force intérieure. Laurent Pérez habite son personnage de professeur vieillissant, autoritaire et colérique. Sylvie Maury est impeccable en Elena lointaine et fuyante, rattrapée cruellement par son ambiguïté envers Astrov. Olivier Jeannelle endosse toutes les contradictions de ce personnage alcoolique, déçu de l’humanité, au cœur tari mais que la belle Elena saura faire battre à nouveau.
Si les propos écologiques visionnaires d’Astrov sur la déforestation et le climat résonnent avec nos préoccupations actuelles, toute la pièce fait entendre une partition moderne, grave et légère, à l’interprétation réaliste, d’une proximité saisissante. La scénographie minimaliste et graphique oscille entre classicisme et contemporanéité comme pour signifier cette période charnière dans laquelle se situe l’œuvre de Tchekhov. Baigné de lumières chaudes et douces, le décor est changé à vue par les comédiens. Il se dégagent chez eux une harmonie et une complicité, on le devine, fortes de leur bonheur de travailler ensemble.
Le collectif a opté pour la simplicité, sans parti pris de mise en scène cherchant à démystifier la pièce, mais au service d’un texte qui se suffit à lui-même, contenant toute la complexité humaine. Dans le dernier acte de ce « Vania » – qui ressemble malgré ses 120 ans à une photographie de notre monde d’aujourd’hui – la discrète et poignante Sonia exhorte à lutter et à vivre. Un appel repris à leur compte par les membres du FAR dont le théâtre est une invitation à résister à la morosité de notre siècle en crise.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Jusqu’au 16 avril, au Théâtre du Pavé,
34, rue Maran, Toulouse. Tél. 05 62 26 43 66.
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photo © Mona