Dans le cadre du Festival des Compagnies fédérées qui se poursuit au Théâtre du Pont-Neuf , Laurent Perez et Olivier Jeannelle endossent à nouveau leurs fameux personnages de « la Secrète obscénité de tous les jours », pièce de Marco Antonio de la Parra dont ils assurent également la mise en scène.
Qui sont ces deux personnages en imperméable qui se disputent le banc face à un collège de jeunes filles ? Deux exhibitionnistes sur le retour, grotesques et pathétiques ? Deux exécutants à la botte d’un pouvoir militaire en place? Ou bien encore deux intellectuels proscrits et pourchassés ? À moins qu’il ne s’agisse de Karl M. et de Sigmund F. réglant leur compte ? Si « la Secrète obscénité de tous les jours », pièce de Marco Antonio de la Parra, ne dit rien du contexte politique, on comprend à mesure que s’installe la relation entre ces deux personnages qu’elle a pour cadre un pays totalitaire.
Et les deux hommes, qui avancent masqués l’un vers l’autre et vers nous, vont révéler la fracture de leur vie : l’amère découverte que les idéologies qu’on imaginait belles et grandes ont été perverties. Alors vient la question : Comment survivre dans cet état de choses ? En se travestissant et en se fondant dans le paysage ? En jouant la duplicité ? Ou bien, au contraire, en s’élevant contre ceux qu’on a jadis soutenu et en qui l’on a cru ? Dire ou ne pas dire? Telle est la question… de ce théâtre intelligent, virtuose, doublé d’une prestation de comédiens de haute voltige inscrite dans cette tradition du bouffon qui permet de rire de tout. Surtout du pire.
Sous la farce déjantée, la pièce invite à une réflexion sur le pouvoir et sur ce que deviennent nos convictions lorsqu’elles s’appliquent au réel. «J’ai écrit plusieurs romans», dit celui qui s’appelle Karl. «Dommage qu’on en ait pris quelques-uns très au sérieux», lui rétorque celui nommé Sigmund. En recréant la rencontre improbable de deux célèbres penseurs et théoriciens, l’auteur – d’origine chilienne et psychiatre de formation – renvoie dos à dos, dans une charge politique grinçante, les erreurs des uns et les désillusions des autres dans une société dictée par les dogmatismes et la terreur appliquée par ceux qui ont eu en charge de les appliquer.
Partant d’une situation vaudevillesque, la pièce évolue vers une gravité où le tragique côtoie sans cesse le rire, le huis clos psychologique, le polar, le clown et la culture populaire. Autant de registres pour les deux acteurs dont le jeu volontairement appuyé ne cesse de replacer l’art de la représentation sociale et politique au centre du propos. Dans un numéro d’équilibristes drôle et poignant, Laurent Perez et Olivier Jeannelle s’emploient à servir l’écriture métaphorique de la pièce. Texte dont les incessantes ruptures et mises en abîme offrent plusieurs niveaux d’interprétations.
Le spectateur se perd délicieusement dans ce théâtre dans le théâtre, maintenu dans une tension jubilatoire par une mise en scène physique, «cartoonesque» et millimétrée, qui se dirige sur un rythme effréné vers une issue fatale. Scénographiquement, seul un banc sert de réceptacle à cette urgence à dire, éclairé par une lumière qui joue à plonger le spectateur dans le fantastique et à troubler sa perception : entre rêve exalté et réalité âpre, entre projection et frustration, entre passion et déception. L’obscénité dont il est question ici n’est pas celle que l’on croit. Et ces deux exhibitionnistes sont seulement ceux à qui il ne reste plus rien, et qui privés de leurs mots et débarrassés de leur masque sont sûrement les derniers opposants sacrifiés d’un monde en phase de basculement.
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Du jeudi 4 au samedi 6 février, 20h00, au Théâtre du Pont-Neuf,
8, place Arzac, Toulouse. Tél. 05 62 21 51 78.