Les Italiens sont les rois de la comédie, du commentaire social et des gangsta movies, c’est évident, chez eux et aux USA (sans parler de Lino Ventura) et le cinéma américain leur doit quelques chefs d’oeuvre, de Taxi Driver à Rocky en passant par Le Parrain et Scarface. C’est ce dernier film qui a malheureusement entamé le jugement de nombreux jeunes gens à travers la planète, en leur faisant croire que le caïd de la schnouf complètement allumé et suicidaire, incarné par Al Pacino, était cool. Mais les types dont le nom se termine par O ou A ne sont pas nécessairement les porte-parole de la pègre et de ses mythes – entre les lignes et les effusions de sang, on se rend bien compte que Scorsese, Coppola et les autres dénoncent la violence et le chaos de leur société et de leurs semblables, des immigrés face à des murs et qui s’en sortent parfois en se faisant battre comme plâtre sur des rings d’opérette.
Je dis ça parce que j’ai l’impression que le rappeur français Oxmo Puccino, pas le moins du monde rital mais anciennement le Black Mafioso et autres sobriquets évocateurs, a sans doute avalé cette culture et qu’il l’a dépassée en devenant une sorte de « Black Brel », bien que l’étoile du Grand Jacques brille vraiment trop haut et que toute référence à l’épiderme, comme à la taille des orteils, devrait être bannie des conversations. Son nom de scène rappelle en blaguant un grand nom de l’opéra italien, celui de la Bohème. Oxmo, ça reste entre lui et son passé. C’est un cas, Puccino, comme on dit dans les cours d’école et autour des machines à café (con latte). Il est aujourd’hui le roi tranquille du « rap conscient », un sénateur ou un seigneur, ce qui signifie qu’il ne balance pas n’importe quelle salade sur la chatte et le fric ou autres invectives stupides. Il se définit comme un « poétiseur » et on ne peut lui enlever ce talent et cette gourmandise des mots qui, parfois, me font penser à de vieux Africains de ma connaissance qui philosophent en usant de métaphores hardies sinon loufoques. La chanson la plus émouvante de son dernier album, Un Week-end sur deux, raconte simplement la vie d’un enfant dans une famille désunie. Si j’osais, je dirais que OP est aussi une manière de Michel Delpech en se faisant le chroniqueur de notre société dans ses tourments et aussi ses joies. Après les attentats de Charlie Hebdo et de l’épicerie casher, il avait eu envie d’être fun et d’écrire sur la France enthousiaste, solidaire et généreuse de 1998, après la coupe du monde – même si ce fut un feu de paille et que ce soit une époque fort lointaine ; l’album La Voix Lactée devait sortir le 13 novembre 2015, un autre jour en berne. Mais le disque reste d’un bout à l’autre comme un « baume au coeur » avec des musiques variées, jusqu’à une sorte de bossa un peu rude, et invite à profiter de la vie en la retentissant (Slow Life) et en se donnant la main, camarade.
L’enfant du Mali et de la Seine-Saint-Denis avoue aimer Georges Brassens, Aznavour, Brel et Sinatra, la Voix des Italiens d’Amérique. Pas de Led Zep dans son panthéon, ce qui explique le son moelleux dans lequel il cherche à évoluer et qui passe bien à la radio. Sur son récent disque acoustique, Lavilliers l’a invité à partager le micro dans une nouvelle version des Barbares : ça sonne comme une cloche de bronze, c’est tout bonnement animal et sensuel. On demande Oxmo Puccino partout ! Sa voix, son timbre, son cheveu sur la langue, sa face, ses rimes, ses figures de style, cet homme a du charme et a offert (ou vendu) sa forte présence à Ibrahim Maalouf, Benjamin Biolay ou encore Erik Truffaz (sur le dernier album : Doni Doni).
Les musiciens et lui, c’est une affaire entendue, il n’y a pas que les machines. Il avoue une dette envers son partenaire Vincent Segal, violoncelliste, bassiste, compositeur, arrangeur de l’album Roi Sans Carrosse. Il lui reconnaît « une vision intemporelle de la musique, une vision mondiale. Il y a très peu de pays dans le monde que tu peux visiter avec lui sans qu’il ne connaisse les usages musicaux locaux. Sans qu’il ne connaisse les pointures du coin, les harmonies, les traditions, etc. C’est quelque chose qui est perturbant. L’autre jour, nous étions tous les deux au Maroc. Il y avait des jeunes gens qui jouaient de la guitare et qui ne parlaient pas français. Nous, on ne parlait pas l’arabe. Vincent a sorti son violoncelle et à commencer à jouer des mélodies de leur région. C’est tout de suite parti en jam. Il communique grâce à ça. »
Avec Segal et le guitariste Édouard Ardan, Oxmo a donné à l’automne une série de concerts en trio acoustique. Sa parole, dégagée des beats et des samples, tient debout, à sa grande satisfaction car il se voit plus en chansonnier qu’en Dr Dre, plus en artiste national reconnu pour sa plume qu’en figure de proue du ghetto.
Je ne sais pas s’il a lu James Baldwin et ses brûlots ou Cavanna et ses Ritals mais ce serait pour lui un bon miel. Il a récemment déclaré qu’il lisait Chester Himes, auteur noir de noir et, avec le même plaisir et le même profit, Victor Hugo et Jules Renard. Il est curieux de tout, ce qui est normal chez un quadragénaire qui a du temps pour se cultiver, et ça ne devrait étonner personne. Il creuse et bosse, il cherche la personne qu’il est vraiment et non celle que les autres voient, ce qui veut dire que sa couleur de peau et sa banlieue sont encore des chaînes mais que, bientôt, on dira « quel fameux chanteur à la fois mordant et plein de mélancolie, ce portraitiste du peuple de France » et non « ce Renoi a des lettres et il se tient bien, il reste poli, ils sont combien dans ce cas? »
Avec son frère le basketteur international Mamoutou Diarra, il a fondé l’association « impérativement positive » La Courte Echelle pour aider les enfants des cités à s’en sortir. La question est aujourd’hui, car nous avons souvent l’impression d’être, tous autant que nous sommes, comme des lapins pris dans le pinceau des phares : pour aller où?
Greg Lamazères
OXMO PUCCINO : album La Voie Lactée en CD & plateformes numériques
Concert le 18 février au Bikini, Ramonville St-Agne
P.S. : Et le sang italien dans la chanson française alors ? Deux Siciliens : Adamo (mais il est belge) et Calogero (c’est son vrai nom alors qu’on pourrait penser qu’il a rendu hommage au garçon qui a le même patronyme que lui dans Il était une fois le Bronx, le beau film de Robert de Niro), peut-être Sanseverino, pas du tout Soprano mais à coup sûr Daniel Bevilacqua alias Christophe, fils d’un entrepreneur italien de Juvisy/Orge. Mais quoi, il est de Palerme ou pas, cet Oxmo?