Comme je l’ai écrit dans ma précédente chronique, ce mois de Novembre a été meurtrier, et le travail de deuil est dur à faire. Il était temps de revenir à la Musique et le duo A tous vents Salle du Sénéchal comme l’Ensemble Doulce Mémoire à Saint Pierre des Cuisines sont venus à point à Toulouse verser du baume sur nos blessures au coeur.
Ces deux concerts s’inscrivaient dans le cadre des Conversations musicales 2015, IV° Rencontre des Musiques Traditionnelles et Anciennes du 26 au 29 novembre 2015, organisées par le Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles de Midi-Pyrénées (COMDT) (1), en partenariat avec le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse (2), l’Atelier Régional des Pratiques musicales Amateurs (ARPA) (3), l’Espace Croix-Baragnon-Centre culturel municipal de la Ville de Toulouse (5). Et pour la première fois, la Pause Musicale (6) dont le maitre d’œuvre, Joël Saurin, prouve une fois de plus son grand éclectisme.
Le jeudi 26, à la Salle du Sénéchal, le duo A tous vents, Elsa Frank, et Jérémie Papasergio, étaient venus avec tout un attirail de bombardine, chalémie, tournebout, serpent, dulzian, basson et hautbois baroques, flageolet, et flûtes bien sûr (dont une en buis et ivoire !), qui ont fasciné le public avant même le début du concert. D’autant que les deux musiciens n’étaient pas avares d’explications historiques et techniques ; le tout avec une bonne dose d’humour, mais surtout une grande virtuosité. Ce qui est la marque de fabrique de l’Ensemble Doulce Mémoire, on a pu s’en rendre compte deux jours plus tard.
Les musiciens ont parlé de « mise en bouche » : personnellement, j’étais affamé quand je suis arrivé, vu l’heure avancée (12h 30), mais à la sortie, je peux dire que j’étais rassasié de nourritures spirituelles !
D’Anonymes en Suites et Sonates, tour à tour solistes et accompagnants, sur un programme varié dédié au répertoire des instruments à vent, de la Renaissance aux Baroque, ils ont régalé un public conquis qui ne se rassasiait pas à la fin du concert de converser avec les musiciens et de contempler leurs magnifiques instruments. Ils méritent bien leur nom d’A tous vents.
Le concert du samedi 28 novembre, sous les belles voutes de Saint-Pierre des Cuisines, joliment intitulé Hautbois des villes, hautbois des champs, réunissait Doulce Mémoire au grand complet : Denis Raisin-Dadre (bombardes, doulçaines, flûtes, chant, et direction), Véronique Bourin (soprano), Adrien Reboisson, Elsa Frank, Jérémie Papasergio (bombardes, doulçaines, flûtes, chant), Pascale Boquet (luth, guitare Renaissance), Bruno Caillat (percussions).
Et deux musiciens émérites du COMDT (2), Maxence Camelin (hautbois du Bas-Languedoc, cabrette, chant), Xavier Vidal (violon traditionnel, flûte, hautbois et chant), honorablement connu pour ses collectages en Quercy en particulier et son fameux disque «Le bal, CD de musiques traditionnelles à danser».
Durant deux jours précédents, ils avaient échangé sur leurs pratiques réciproques, explorant leurs liens, entre répertoires des ménétriers, musiques de cour et chansonniers, entre musiques «rustiques» et «raffinées», populaires et savantes, qui au bout du compte, ne sont pas du tout antinomiques. Au contraire, puisqu’elles s’abreuvent à la même source, la tradition orale, le bouche à oreille des musiciens. Ils nous ont donc troussé, comme dirait leur directeur musical, un programme allègre et guilleret, plein de fraicheur et de légèreté, des musiques «de fous et de maures», de la Chambre du Roy ou des fêtes populaires, où les hautbois des villes ont dialogué de belle façon avec ceux des champs.
Entre les morceaux, Denis Raisin Dadre nous a fait profiter de sa grande érudition avec une malice de lutin.
Danses, Pavanes, Bransles gays, Gaillardes, Rondes, alternaient avec ces chansons licencieuses. On a ri beaucoup à la verdeur du langage, en remarquant que les dames de l’époque n’avaient pas la langue dans leur poche : la soprano à la voix gracieuse nous faisant partager ces joyeusetés de manière fort expressive, soutenue par tous les musiciens, dont en particulier la joueuse de luth et de guitare Renaissance (qui fait aussi partie du savoureux groupe Les Witchies (7).
Trop penser me fait amour Dormir ne puis
Si je ne voy mes amours toutes les nuits
Dans Nous éstions trois jeunes filles, un moine paillard se défroque allégrement…
Nous estions trois jeunes filles
Toutes dansans dans un pré,
Par icy passa un moine, la la la,
Qui toutes trois salua, liron fa.
Par icy passa un moine
Qui toutes trois salua,
Il despouilla sa gran robe, la la la
Et avecques nous dansa liron fa.
Quand la danse fut finie, la la la
A coucher il demanda, liron fa…
Alternées avec traditionnels occitans comme Le castel rouge ou le Noël de la Crouzette, ces musiques prétextes à la danses ont permis aux hautbois « raffinés » de se retrouver avec les hautbois « sauvages » sur des tutti et un final endiablés.
Ces Souffleurs de Rêves nous ont fait du bien à l’esprit, ils ont versé du baume sur nos âmes blessées, nous abreuvant à la source de jouvence de notre tradition musicale.
Et, repartant dans la nuit au milieu des étudiants en goguette, je me surprend à dire les vers du Prince des Poètes, Pierre de Ronsard (8), réclamant de la Musique (et du Vin) pour chasser la tristesse :
Fais venir Jeanne qu’elle apporte
Son luth pour dire une chanson ;
Nous ballerons tous trois au son.
Rafraîchis-moi ce vin, de sorte
Qu’il soit aussi froid qu’un glaçon,
Verson ces roses pres ce vin,
De ce vin verson ces roses,
Et boyvon l’un à l’autre, afin
Qu’au coeur noz tristesses encloses
Prennent en boyvant quelque fin.
Mon Dieu, qu’elle est doulce cette mémoire !
Elrik Fabre-Maigné
29-XI-2015
Pour en savoir plus :
Doulce Mémoire, c’est d’abord l’esprit de la Renaissance cette période faste de découvertes, d’inventions, de voyages et de créativité. Constitué d’une équipe de musiciens et de chanteurs fidèles et soudés, l’ensemble Doulce Mémoire s’investit depuis bientôt vingt-cinq ans dans des aventures artistiques toujours innovantes, avec la participation régulière de comédiens et danseurs. Ses productions passent d’un Requiem des Rois de France des plus sérieux àl’Honnête courtisane ou encore à la reconstitution de la Messe pour la rencontre au Camp du Drap d’Or.
Depuis sa création il y a 25 ans, Doulce Mémoire s’est produit à travers toute la France sur les scènes d’opéras, festivals et scènes nationales mais aussi dans les grandes capitales internationales (New York, Riga, Bruxelles, Rome, Mexico, Brasilia, etc).
Doulce Mémoire a croisé lors de ses voyages, des artistes avec lesquels se sont nouées de belles relations humaines et artistiques : notamment la troupe Hang Tang Yuefu de Taïwan, le chanteur de Fado Antonio Zambujo, le chanteur persan Taghi Akhbari, le joueur de ney turc Kudsi Erguner.
A travers ses concerts et spectacles, Doulce Mémoire invite à découvrir les musiques que pouvaient écouter les génies internationalement reconnus de la Renaissance, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Rabelais, François Ier, etc. dont certains ont particulièrement marqué la Vallée de la Loire et ses célèbres châteaux renaissance. C’est justement là que depuis 15 ans, l’ensemble développe une part importante de son activité et une relation privilégiée avec la région Centre. Notamment, Doulce Mémoire organise l’Académie du Droict Chemin de Musique pour jeunes chanteurs professionnels, créé au château de Chambord dès 2003.
Doulce Mémoire enregistre pour Zig Zag Territoires, Naïve et Ricercar. Sa discographie a reçu de très nombreuses récompenses : Diapason d’Or de l’année, Choc du Monde de la Musique, ffff de Télérama… L’ensemble a participé à plusieurs documentaires pour Arte.
(2) COMDT 5 Rue du Pont de Tounis, 31000 Toulouse 05 34 51 28 38
www.comdt.org/
(3) CRRT 17 Rue Larrey, 31000 Toulouse 05 61 22 28 61
http://conservatoirerayonnementregional.toulouse.fr/
(4) ARPA Pôle régional dans le domaine de la voix, l’Atelier Régional des Pratiques Amateurs vous accompagne dans vos projets depuis plus de 20 ans en Midi-Pyrénées. L’ARPA a pour vocation de favoriser les partenariats entre les services de l’État en région (culture, éducation nationale, jeunesse et sports…), le Conseil Régional et les autres collectivités territoriales, les associations départementales de développement musical et chorégraphique, le milieu associatif, les professionnels et les amateurs.
(5) 24 Rue Croix Baragnon, 31000 Toulouse 05 62 27 60 60
www.croixbaragnon.toulouse.fr/
(6) lapausemusicale@gmail.com
http://lecatalogue.jimdo.com/
(7) http://www.leswitches.com/html/fr/lesWitches.html
(8) Sur le superbe disque CHANSONNETTES FRISQUETTES, JOLIETTES ET GODINETTES, Doulce Mémoire livre deux très belles versions de « Mignonne, allons voir si la rose, celles de Jehan Chardavoine et de Guillaume Costeley. Seul petit bémol, la pochette… Mais il y a un bonus: 3 instrumentaux réunis sous le titre « 1 vous de chanter »: alors, chantez maintenant ! Cela ne peut que vous faire du bien.