Hommage à Gil Pressnitzer (1941-2015)
Cher Gil, décidément les mois de novembre sont meurtriers !
Quand je te voyais dans tes œuvres, je ne pouvais m’empêcher de penser à ces passeurs du siècle dernier sur les bacs de la Garonne, à la seule force des bras, d’une rive à l’autre, au long des chemins de halage à chevaux ; mais toi, c’était des artistes que tu faisais passer avec leurs bagages de rêves.
Tu vas beaucoup me manquer, même si tu t’étais fait discret les dernières années sur la scène de la vie publique que tu as longuement arpentée pour les besoins de la mission de passeur de Culture que tu t’étais choisie.
Toi qui m’as toujours encouragé dans mon aventure artistique sans concessions, sans ambition commerciale, au service de la grande Poésie, toi qui me disais : « Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver ». Toi qui m’as consacré une belle vignette dans le Dictionnaire de Toulouse des Editions Loubatières.
C’était toujours un plaisir de te retrouver au Sylène, le bar chaleureux à l’ombre de la Cathédrale Saint Etienne où tu avais tes quartiers : tu me conseillais dans mes lectures et dans mes écrits, dans mes projets de création, nous échangions à chaque fois des petits cadeaux, de la Poésie et de la Musique bien entendu, tant nous partagions le goût unique de la Culture du monde entier, sans frontières. Celle qui enrichit quand on la transmet, celle qu’on peut donner sans la perdre, celle qu’il est vital de léguer à ceux que nous aimons, car elle est gage d’épanouissement et de Liberté ; celle que les tyrannies de tous poils s’empressent de brûler avec ses artisans, aujourd’hui comme hier.
Je connaissais rien de ton enfance cachée, tant tu étais discret sur le sujet, comme la plupart de ceux qui l’ont vécue. Mais je savais que tu étais né dans une des pires périodes de notre Histoire et je pressentais qu’elle avait été douloureuse dans les tsunamis de la 2ème Guerre mondiale, de l’occupation, de la collaboration, tant tu étais marqué au sceau, au fer brulant devrais-je écrire, de tes origines : tu avais à cœur de me faire découvrir, comme à tes lecteurs, l’immense richesse de la culture yiddish que certains ont voulu éradiquer hier, que certains aux portes du pouvoir partout en Europe, aimeraient bien faire disparaître définitivement des livres d’histoire et des mémoires.
Toi qui pouvais réciter par cœur, comme si tu les avais écrits (entre autres), les vers de Jean Cassou, poète-résistant, emprisonné à Toulouse, (dont le buste et celui de Jean Moulin au Jardin des Plantes ne sont plus salués que par des vieux fous comme nous), et écrivant ses Sonnets au secret, :
La plaie que, depuis le temps des cerises,
Je garde en mon cœur s’ouvre chaque jour.
En vain les lilas, les soleils, les brises
Viennent caresser les murs des faubourgs.
Je t’ai connu à ton époque flamboyante quand tu faisais rayonner la Salle Nougaro, où je me suis toujours senti si bien, dans la chaleur des ses habits bleus et ses vibrations multicolores, de la musique classique au jazz, en passant par les musiques du monde et la chanson française d’expression, comme disait Jean Ferrat. Cette salle de spectacle que tu avais presque créée de tes mains tant elle était ton rêve, ton bébé, et où tu accueillais des artistes de renommée internationale et des inconnus au talent immense, des musiciens, des poètes, mais aussi des peintres. Merci au Comité d’Entreprise de l’Aérospatiale de t’avoir donné les moyens de réaliser ce rêve et de t’avoir laissé carte blanche ; même si cela n’a pas du être un long fleuve tranquille, pour les uns et les autres…
Je citerai juste, parmi tant d’autres, Gilles Vignault, Angélique Ionatos, Gianmaria Testa, Cesaria Evora, Lluis Llach…
Mais aussi la plasticienne colombienne Gloria Uribe, aux doigts de rêve, que tu m’as fait découvrir, qui m’a offert ses paysages intérieurs de toute beauté, et qui es devenue mon amie, ma complice sur les poèmes de Xavier Grall que j’ai donné à entendre avec mes amis musiciens, Jean-Luc Amestoy, Serge Faubert, Françoise Guerlin et Pascal Portejoie (je me souviens de ton bonheur à l’écoute de ce concert poétique: tu m’as dit « enfin de la poésie des mots, des sons et des couleurs ! ») ; Grall que tu étais l’un des rares autour de moi à connaître et à lire encore.
Gil Pressnitzer – Gloria Uribe – Elrik Fabre-Maigné
Et puis bien sûr, ton ami Jacques Bertin, que mon cher Léo Ferré m’avait fait découvrir quand j’apprenais à dire mes textes sur scène avec le Théâtre du Chêne noir d’Avignon au milieu des années 70, en m’expliquant que c’était « l’un des grands auteurs-compositeurs de la chanson française de la génération d’après-guerre, peut-être le plus grand » ; Jacques Bertin que tu as défendu bec et ongle contre l’oubli auquel le condamnait la marchandisation des maisons de disques, comme tant d’artistes de qualité de notre époque. Sans doute avais-tu toujours ouverte en toi cette « Blessure sous la mer » qu’il chantait si bien.
Toi qui a écris : « qui laisse une trace laisse une plaie ».
Toi qui t’inquiétais parce que « quand la Culture ne se transmet plus, elle meurt ; et nous avec ».
Ce travail de passeur, d’éveilleur, tu l’as fait au détriment de ta propre œuvre, et pourtant tu en avais des choses à écrire, à faire découvrir, toi qui n’écrivais que « pour irriguer une autre âme ».
A l’heure où l’on assiste à « un repli sur soi des politiques culturelles étatiques, où l’on voudrait réduire les arts et les artistes à de simples marchandises de divertissement », ce qui te désolais, tu resteras « ce semeur de rêves, ce passeur de notes bleues et de lignes claires » que nous avons tant apprécié.
Et je te dis au revoir avec les vers d’Apollinaire :
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Canaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses…
PS. Heureusement qu’il me reste à partager des bagages de rêves, avec Vicente Pradal, l’amour de la Poésie de toutes les couleurs, celle qui invite à la Musique, et avec Christian Thorel, l’Ecole de Canterbury et l’Amérique de Michael Cimino. Sinon, je me sentirais bien seul…
Elrik Fabre-Maigné
24-XI-2015
Pour en savoir plus :
Je renvoie ceux qui me liront au remarquable site culturel et associatif de Gil Pressnitzer, «Esprits nomades », qui faisait la part belle aux créateurs et proposait aux internautes « un vagabondage dans le monde de la musique, de la littérature et de la poésie, de la photo et de la peinture ». J’espère que quelqu’un ou quelqu’une prendront sa suite, même si, encore une fois, cette création ne ressemblait qu’à lui…
Et à sa bibliographie sur le site du Centre régional des Lettres Midi-Pyrénées.
- Notes de passages, notes de partage, Éditions Les 2 Encres
- La Traversée du Vivre, poèmes
- La huitième écorce, poèmes, Éditions Trident Neuf de Marie Bauthias
- Procuration : la vie, roman
- Nouvelles pour en finir avec le jour
Les Chroniques de Gil sur « Culture 31 »