Le plus médiatisé des pianistes actuels est de retour à la Halle, ce 10 novembre à 20h, invité à nouveau par le Cycle Les Grands Interprètes. Le concert sera sûrement COMPLET !! « Tu incarnes l’esprit de la Chine traditionnelle. », telle est l’affirmation aux apparences paradoxales mais à la substance atemporelle, adressée au trentenaire Lang Lang. Elle vient d’un maître vénéré de 82 ans, Fou Ts’ong, le premier pianiste chinois à s’être fait un nom comme virtuose éminent.
Quand les pianistes chinois se présentent dans un concours international, on sait d’avance que leurs doigts fonctionnent, mais que leur style et leur compréhension de la musique clochent. » dixit Lang Lang. Mais il vous confie tout aussitôt : « Je pense que l’on peut comprendre la culture musicale occidentale par son cœur. On la ressent d’ailleurs plus qu’on ne la comprend. Toute grande musique, chinoise, allemande, polonaise, russe ou française vient du cœur et de l’esprit humain. Il faut ouvrir son cœur, ses oreilles et armer son intelligence. »
Le pianiste prodige semble parfaitement lucide de la perception qu’ont les milieux, spécialisés ou non, des qualités de chacun de ses compatriotes venus saisir leur chance au-delà de leurs frontières. Mais lui, c’est Lang Lang, un pianiste doué, ou plutôt, surdoué. Lui, c’est plus qu’un pianiste, à n’en pas douter. Lire plus loin quelques lignes de sa “bio“ déjà bien impressionnante.
Quant à sa gestique emphatique devant touches blanches et noires, n’en soyez pas surpris. Elle fait débat, on le sait. Pour certains, il faut un interprète presque figé, momifié par la tradition. Mais autrefois ? Quand un Liszt faisait salon, on venait pour l’écouter, mais aussi le voir !! Ecoutons-le, à ce sujet : « La confiance en soi est l’un des éléments les plus importants. Je n’éprouve pas de trac, jamais, et je ne peux pas changer ma manière de jouer. J’ai besoin de transmettre physiquement mes sensations. Croire que la musique n’est qu’un exercice purement intellectuel est une vue de l’esprit. » Lang Lang.
Et, ne dit-il pas encore : « Quand je vois le mouvement des danseurs et quand je les sens inspirés par la musique et leur chorégraphie, j’ai le sentiment d’éprouver la même chose. »
Il est chinois, né à Shenyang, il y a bientôt trente-quatre ans. Il a fait partie de cette génération « bénie et maudite à la fois » de l’enfant unique. Il fait partie aussi de ces plus de vingt millions de pianistes recensés dans son pays. Enfant sans enfance, ses dons pour l’instrument vont le conduire à son premier récital à 5 ans. C’est devenu en un laps de temps très court, un artiste à l’aura mondiale qui se produit sur les plus grandes scènes des salles les plus réputées aux quatre coins de la planète. C’est une virtuose hors pair doué d’une technique infaillible, qui en a déjà assez de donner en bis et à une vitesse folle, ce morceau de choix qu’est le Vol du Bourdon dans une transcription de Cziffra. Il s’amuse même maintenant à le donner en bis sur sa tablette…
Avec tout ça, évidemment, il lui est difficile de plaire à tout le monde. Et surtout pas à tous ces grincheux de critiques ou de spectateurs vieillissants pour qui il ne peut y avoir de bon(ne)s pianistes que de pianistes avec les mêmes cheveux blancs, pétris de connaissances car un jeune devant son clavier ne peut avoir assimilé tout ce que les “vieux“ ont pu apprendre au fil des ans. Et puis, fort de la fougue de sa jeunesse, il ne peut donc qu’être dépourvu de toute sensibilité ! La virtuosité ne peut aller de pair, pardi. Ils en oublient, un peu vite, qu’auparavant il n’y avait rien pour se former : pas de support, pas de cassette, pas de disque, uniquement les commentaires écrits. Sans parler de la qualité des instruments. Tout cela a fortement évolué et les jeunes artistes actuels aussi. Leur formation se fait en accéléré, et même en très accéléré. Ils disposent d’une documentation énorme.
Que nous confie-t-il encore ? : « Toucher le piano n’est pas la seule façon d’apprendre la musique. Je consacre beaucoup de temps à lire des partitions, à les analyser, à les décortiquer .On n’assimile les atmosphères que très progressivement. La compréhension du phrasé, de l’harmonie, du contrepoint est essentielle… » D’aucuns ont pu s’étonner alors de trouver dans son interprétation de certaines pièces, la conjugaison d’un lyrisme velouté et d’une surprenante et étincelante expressivité laissant pantois.
Peut-on ignorer aussi que tous ces jeunes pianistes chinois ont derrière eux, pas très loin, la Révolution culturelle avec ses représailles terrifiantes, les pianos qu’on concassait, les pianistes qu’on envoyait dans les camps avec en prime pour les plus réfractaires, les doigts cassés à coup de marteau, les parents, par exemple de Fou Ts’ong, liquidés, suicidés par Mao en 1962. Les partitions détruites. Seules, celles de Mozart semblaient trouver grâce. De tout cela, et plus, une rescapée des camps de rééducation de Mongolie intérieure, Zhu Xiao-Mei en a témoigné. C’est une artiste que le Festival Piano aux Jacobins nous a permis de pouvoir apprécier.
Alors, un peu d’indulgence, pour ces artistes qui, avec un peu plus de chance que d’autres peuvent vivre maintenant ce dont tant ont été privés, de la génération précédente. Et qui exultent tout autant, saisissant, sous toutes ses formes, cette liberté à laquelle ils ne semblent pas croire. N’ayons crainte d’une soi-disant invasion d’artistes dont la capacité d’absorption de la culture occidentale est inversement proportionnelle à celle de leurs détracteurs devant un paravent en paille de riz couverts d’idéogrammes énigmatiques.
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Programme
Tchaïkovski
Les Saisons, opus 37 bis
Bach
Concerto Italien, en fa majeur, BWV 971
Chopin
Scherzo n°1 en si mineur, opus 20
Scherzo n°2 en si bémol mineur, opus 31
Scherzo n°3 en ut dièse mineur, opus 39
Scherzo n°4 en mi mineur, opus 54
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Quelques éléments biographiques : … à 13 ans, il s’amuse (sic !) à jouer en public à New-York, les Etudes de Chopin…Lang Lang a fait ses débuts avec l’Orchestre de Paris en 2004. Il est régulièrement invité depuis. Il a donné deux concerts avec cet orchestre à Pékin en 2007, lors de sa dernière grande tournée en Asie. Il est le premier pianiste chinois à avoir été engagé par le Philharmonique de Berlin, le Philharmonique de Vienne et les plus grands orchestres.
En 2008, plusieurs milliards de téléspectateurs ont regardé son concert lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Ce rayonnement a incité plus de quarante millions d’enfants chinois à apprendre le piano classique – phénomène baptisé “l’effet Lang Lang”. Très récemment, Lang Lang a été choisi comme ambassadeur mondial officiel à l’Exposition de Shanghai 2010. Il était également aux Grammys 2008, se joignant au jazzman Herbie Hancock pour un étonnant duo retransmis en direct et suivi par quarante-cinq millions de spectateurs à travers le monde. Les deux pianistes ont poursuivi leur collaboration avec une première tournée mondiale au cours de l’été 2009. Il a participé aussi à l’Exposition Universelle de Milan.
Lang Lang le pédagogue s’est donné pour mission de partager la musique classique dans le monde, en mettant l’accent sur la formation des enfants et des jeunes musiciens par le biais de l’éducation, des programmes d’assistance et du soutien financier. À cet effet, il a créé, à New York, la Lang Lang International Music Foundation, avec l’appui des Grammys et de l’UNICEF. « Cette fondation permet aux enfants de découvrir le piano mais aussi d’aider les surdoués. Les amateurs sont notre public de demain. Les concerts pédagogiques de Leonard Bernstein devraient être des modèles pour tous les artistes. » En mai 2009, le pianiste et ses trois jeunes élèves choisis au sein de la fondation ont joué ensemble à The Oprah Winfrey Show, pour l’émission “Oprah recherche les enfants les plus brillants et les plus talentueux au monde”.
En 2011, le Lang Lang Music World est lancé. Ce complexe artistique pluridisciplinaire est situé à Shenzhen et Chongqilng en Chine. Les enfants peuvent y étudier le piano, participer à des master-classes et à des auditions, assister à des concerts. C’est un lieu de partage et d’expérience unique qui offre d’exceptionnelles opportunités aux jeunes talents.
Saluant son entreprise, Time Magazine le compte alors parmi les 100 personnalités les plus influentes. Il publie la même année son autobiographie Journey of a Thousand Miles (“Le Piano absolu”), dont il tire une version destinée aux enfants, Playing with Flying Keys. Lang Lang est le premier Ambassadeur du YouTube Symphony Orchestra.
Au cours de la saison 2011/12, Lang Lang a été en résidence à l’Orchestre de Cincinnati et a participé au concert de gala marquant le centenaire du San Francisco Symphony Orchestra. Il a été invité au concert de clôture des Proms au Royal Albert Hall et a joué en tournée avec le Royal Concertgebouw, le Philharmonique de Vienne et son Liszt du Bicentenaire avec le Philadelphia Orchestra et Charles Dutoit a été diffusé dans plus de 300 salles de cinéma aux Etats-Unis, événement sans précédent pour un interprète classique.
Il est messager de la paix des Nations-Unies depuis novembre 2013 et il a participé à l’inauguration de la Philharmonie de Paris le 15 janvier 2015. Et pendant que ses doigts sont assurés pour la modique somme de 15 millions de $, vous pourrez vous asperger modérément de Amazing Lang Lang, son parfum.
Concernant les œuvres, on passe sur les Saisons, douze numéros qui font davantage penser à un autre titre qui aurait dû être retenu, « les mois », une série de pochades qui sont bien loin des satisfactions pianistiques que le compositeur nous offrira avec les Concertos pour piano. Pour suivre, le fameux Concerto italien de Jean-Sébastien Bach qui veut exalter l’italiänisch Gusto, d’où son qualificatif. Il forme avec l’Ouverture à la française, la 2eme partie de la Klavierübung. Par contre, nous consacrerons quelques lignes aux Quatre Scherzi de Frédéric Chopin qui occupent la seconde partie du récital, sans trop s’appesantir, car ils ont été tellement décortiqués, déjà !
Scherzo ? Il semblerait que le terme ait été utilisé pour la première fois par Claudio Monteverdi. Il publie en effet un recueil : Scherzi musicali a tre voce (Venise, 1607), voulant, par le choix même du titre, signifier qu’il s’agissait de compositions de caractère non sérieux, des « plaisanteries ». D’autres musiciens lui ont emboîté le pas, transposant le mot des voix aux instruments, jusqu’à Beethoven qui, le premier, remplaçera le menuet dans sa Deuxième Symphonie par un Scherzo.
Par ailleurs, ce dernier avait perdu en route son caractère délicat, alerte, non sérieux, pour se muer en une forme musicale à caractère le plus souvent dramatique, en mouvement ternaire. Ainsi, en passant d’une “langue“ à l’autre, le mot a-t-il perdu de sa signification première. On ne plaisante plus guère dans ces pièces de Frédéric Chopin. On est loin du scherzo “mendelssohnien“, plus fidèle à l’étymologie. Relevons, en passant, que les deux musiciens ne s’appréciaient guère. Ici, dit l’un, ce ne sont qu’ « éclairs, rafales, tourbillons et raz-de-marée d’un bout à l’autre du clavier, une écriture qui ne laisse pas de place pour les jeux de l’esprit. »
Si l’on isole le Quatrième, “Scherzo de l’Air“, les trois premiers, “Scherzi de Feu“, ne dégagent ni humour, ni fronde, ni insolence gouailleuse. « Les sous-bois sont sombres tandis qu’à chaque fois, les codas conclusives vous emportent telles des chevaux fous, farouches et frénétiques, et vous clouent. » Pour cela, deux mains suffisent, et dix doigts !
Les Quatre Scherzos, ces quatre fiévreuses humoresques, ont aussi quelques détracteurs comme l’un d’eux qui n’hésitera pas à écrire : « C’est du Dostoïevski en transposition musicale : un grand cœur qui se torture lui-même. Ainsi qu’un malaise de l’huître donne lieu à des perles, ainsi la maladie de l’âme de Chopin nous a donné les Scherzos. On les a appelés des “perles noires“. » S’étalant par leur date de composition sur une douzaine d’années, ils traduisent la sensibilité et la veine romantique d’un homme profondément déchiré, et ils ne font donc pas exception dans l’ensemble de sa production purement pianistique.
Et si Robert Schumann ne les a pas décriés, dérouté, il s’est à leur sujet écrié : « Comment habillera-t-on le deuil, si la gaieté elle-même revêt des tons si funèbres ? De quels jeux inquiétants s’agit-il donc ? », lui, Robert Schumann disant de Chopin « qu’il demeure le plus audacieux, le plus fier génie poétique du temps présent. »
Le Chopin des Scherzos ne nous remettrait-il pas en mémoire ces vers d’un Charles Baudelaire quinze ans plus tard ?
Et devant le miroir j’ai perfectionné
L’art cruel qu’un démon en naissant m’a donné
De la douleur pour faire une volupté vraie,
D’ensanglanter son mal et de gratter sa plaie.
Mais, je préfère ces quelques vers du poète Adam Mickiewicz, précurseur de Baudelaire et de Verlaine, cinq vers extraits de ses Sonnets de Crimée (1826) :
Une vague noire, gonflée, roule au rivage avec fracas :
J’incline mon front, lui tend les bras.
Elle éclate à ma tête, le chaos m’enveloppe ;
J’attends que ma pensée, nacelle ballotée par les tourbillons,
S’égare et sombre, pour un instant, dans l’oubli.
Michel Grialou
Lang Lang (piano)
mardi 10 novembre 2015
Halle aux Grains
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