A la Scène de la Fabrique de l’Université Jean Jaurès, devant un public nombreux, le Festival Occitania* organise un concert exceptionnel, en collaboration avec l’association Org et Com** et le CIAM*** (Secteur Cultures du Monde) de Université Toulouse II Joan Jaurés, avec un duo au nom évocateur : Bab al Corassan.
La porte orientale de Bagdad, la ville des Mille et une Nuits, était appelée Bab al Khorasan : plusieurs fois citée par les troubadours, elle s’ouvrait vers ce pays fabuleux, berceau de fameux poètes, savants, philosophes ou médecins, étape de la Route de la Soie.
Aujourd’hui, Caroline Dufau au chant et Hamid Khezri au dotârs (luths à 2 cordes) et chant, réinventent ce partage Occident-Orient, loin des guerres des religion et des croisades ou autres jihad meurtriers, hélas toujours d’actualité dans un Moyen-Orient à feu et à sang, dévasté par les tyrannies de tous poils et ce qu’on appelle trop poliment pour que ce soit honnête, la real poltik.
Ils commencent avec un magnifique Altas undas que venetz sus la mar de Raimbaut de Vaqueiras (XIIème siècle) :
Vagues hautes qui venez sur la mer
Que le vent fait balancer çà et là
Donnez-lui des nouvelles de son amant /
Ô Dieu d’Amour réunit-les
Qu’il lui donne de la joie
Et plus jamais de la douleur
Nous sommes déjà dans l’univers poétique de l’Amour courtois qui unissait troubadours et troubairitz (femmes) d’Occitanie et bardes du Moyen-Orient par un pont de mer bleue, comme chantait Lluis Lach****.
La chanteuse occitane (qui se produit par ailleurs dans un trio vocal féminin, Cocanha -il faut prononce Coucagno-) et le musicien (aussi musicologue) iranien échangent des perles de leurs cultures respectives : chansons du Béarn, de la grande Occitanie, et d’Iran, du grand Orient persan.
Il est question d’Amour, bien sûr, souvent malheureux, comme celui de Beatritz de Dia, comtesse de Die (Drôme), trobairitz de langue d’oc de la fin du XII siècle (vers 1140-après 1175), qui se plaint d’être mal traitée par celui qu’elle aime et parle à toutes les femmes de toutes les époques; mais aussi amour triomphant comme dans Sabzam goulakam (trad. tadjik) / Pastorel dela l’aiga (trad. occitan), où l’amoureux s’échappe à l’aube d’un lit qui n’est pas le sien, après une nuit qu’on imagine bien blanche, et malgré les coups d’aiguade –aiguillon pour les bêtes-, d’un mari jaloux ; et amour volontiers provocateur : Que Dieu me donne assez de vie pour que j’ai ses mains sous mon manteau, dit la Dame.
Dans la ville de Pierre, par exemple, règne un sortilège désertique que briseront un chevalier qui apporte une morceau de prairie dans ses sacoches et une jeune femme qui lui offrira de l’eau. Caroline Dufau a justement une voix très pure, comme de l’eau de source pyrénéenne, elle a l’opulence et la générosité des textes qu’elle chante, nimbée d’une chaude lumière intérieure. Et le musicien lui apporte un rythme endiablé, avec ses trois luths de différentes tonalités venus des trois horizons de son Iran natal qui s’étendait sur toute l’Asie centrale (chromatique du Nord, 3/4 de ton du Centre et basse du Tadjikistan), plus une voix profonde de baryton.
Revient aussi régulièrement le thème de l’oiseau chanteur, de nuit de préférence, complice, ou non des amoureux : Tu as chanté comme l’oiseau de nuit, Tu as fait trembler mon cœur, Et tu es parti…
A propos de l’oiseau solitaire, il ne faut pas rater, la belle exposition « Hommage à Juan Goytisolo », visible jusqu’au 24 octobre 2015, dans la salle dédiée à cet effet de la Fabrique******.
Bab al Corassan, c’est une rencontre musicale inédite entre le chant occitan et les musiques d’un orient mythique, entre bardes et troubadours, entre deux voix et des dotârs (luths) ; c’est une invitation à un voyage empreint d’élégance et de virtuosité de Toulouse à Samarcande, entre l’Occitanie et l’Orient de nos cœurs.
N’oublions pas que dans Corassan, il y a Cor, cœur en occitan, comme l’ont souligné fort justement Habid Samrakandi et Francis Blot, les organisateurs; et contrairement aux siècles derniers où il fut très mal vu en poésie française, il est peut-être temps de lui laisser de nouveau la parole, alors que nous vivons une des plus grands exodes de réfugiés depuis la seconde guerre mondiale. Nous sommes une Humanité plurielle, ne l’oublions pas., et ce titre du Festival est parfaitement d’actualité
Il faut le répéter encore et encore : la différence et le partage enrichissent !
Chaque visage est un miracle
Un enfant noir, à la peau noire, aux yeux noirs,
aux cheveux crépus ou frisés, est un enfant.
Un enfant blanc, à la peau rose, aux yeux bleus ou verts,
aux cheveux blonds ou raides est un enfant.
L’un et l’autre, le noir et le blanc, ont le même sourire
quand une main leur caresse le visage,
quand on les regarde avec amour et leur parle avec tendresse.
Ils verseront les mêmes larmes si on les contrarie, si on leur fait mal.
Il n’existe pas deux visages absolument identiques.
Chaque visage est un miracle.
Parce qu’il est unique.
Deux visages peuvent se ressembler, ils ne seront jamais tout à fait les mêmes.
La vie est justement ce miracle,
ce mouvement permanent et changeant qui ne reproduit jamais le même visage.
Vivre ensemble est une aventure où l’amour,
l’amitié est une belle rencontre avec ce qui n’est pas moi,
avec ce qui est toujours différent de moi et qui m’enrichit.
Tahar Ben Jelloun
Comme je le dis en introduction de mes concerts poétiques:
Bienvenue en pays de Musique et de Poésie,
Il fait souvent beau,
Il pleut quand il faut,
Et de séjour nul n’y interdit.
E.Fabre-Maigné
15/X/2015
Pour en savoir plus:
* http://festivaloccitania.com/
L’Institut d’Etudes Occitanes 31 organise le Festival Occitània du 18 septembre au 04 novembre 2015 à Toulouse et dans sa région, principalement en Haute-Garonne, mais aussi dans le Tarn et l’Ariège.
Le Festival Occitània « Umanitat Plurala» propose à Toulouse et dans 19 communes de la région, plus de 80 événements, pour découvrir la création occitane d’aujourd’hui et les liens qu’elle partage avec les autres cultures.
Parmi les cultures invitées l’Aragon, l’Andalousie, l’Acadie, la Bretagne, l’Irlande, le Maghreb, le Khorassan……et le Groland.
Poésie, cinéma, conte, danse, théâtre, exposition, conférence, concert, débat, balèti, Mercat d’Occitània et Grand Passa-Carrièra de géants et d’animaux totémiques, chacun y trouvera ses moments favoris. Avec plus d’un millier d’artistes et intervenants en tous genres, Occitània, pendant ses 6 semaines, est un des temps forts incontournables de la Creacion Occitana d’uèi.
** L’association org&com a été créée en 2001 pour répondre à des besoins de la vie culturelle et associative occitane dans une démarche plurielle.
En 2003, org&com est sollicitée pour du soutien à la vie artistique : pour accompagner un certain nombre d’artistes, org&com a imaginé le Projet Mesclum, mélange des genres et rencontres des gens.
Depuis 2006, org&com a pris en charge l’organisation du Festival Estivada de Rodez, carrefour interrégional des cultures d’Oc.
org&com, Ostal d’Occitania 11 rue Malcousinat, 31000 Toulouse
T : 05 61 47 43 95 Mail : info@orgetcom.net
*** Le CIAM, Centre d’Initiatives Artistiques du Mirail, est le service arts et culture de l’Université Toulouse – Jean Jaurès. Situé sur le campus Mirail, il impulse et coordonne un ensemble d’actions artistiques et culturelles au sein de La Fabrique, lieu de formation, de diffusion et de production artistique (Diffusion des spectacles vivants et des arts visuels, Productions d’œuvres, Ateliers de création, Appels à projets étudiants, Scènes ouvertes aux jeunes artistes, Résidences d’artistes).
Université Toulouse – Jean Jaurès La Fabrique 5 allées Antonio Machado Accès Métro : Mirail Université Sortie rocade n°26 : La Faourette 31058 Toulouse cedex 9
05 61 50 44 62 http://ciam.univ-tlse2.fr/
**** Lluis LLach ne chante plus en public, mais il se consacre aux populations en difficulté du “ tiers monde”, en particulier au Sénégal, à travers sa fondation, et il écrit: Les yeux fardés, son autobiographie romance vient de sortir aux Editions Actes Sud. C’est un témoignage émouvant sur la vie de la petite Barcelone et des exclus.
***** COCANHA / CANTS POLIFONICS A DANÇAR
Trois voix, trois personnalités, des percussions, des chants populaires occitans, et zou ! Avec Toulouse comme point de rencontre et la langue occitane comme terrain de jeu vocal, las filhas de Cocanha font sonner en chœur les répertoires pyrénéens, gascons, languedociens. Le son est brut, généreux, sincère. Un girls band occitan pour un concert à danser ou un bal qui s’écoute tout en élégance, humour et caractère.
Avec Lolita Delmonteil-Ayral, Lila Fraysse, Caroline Dufau : votz, percussions
****** Exposition L’oiseau solitaire Hassan Bourkia (Maroc) et Santiago Arranz (Espagne)
La revue Horizons Maghrébins-le droit à la mémoire, a voulu marquer ses 30 ans d’activité éditoriale et artistique en mettant à l’honneur l’œuvre de Juan Goytisolo, écrivain espagnol, installé au Maroc, grand connaisseur du monde arabe, et prix Cervantès 2014, considéré comme la plus importante récompense littéraire du monde hispanique.
En partenariat avec l’Instituto Cervantes.