Être « l’esclave indigne » des femmes vous oblige parfois à trouver des endroits confortables où conter fleurette. La campagne offre bien sûr des décors bucoliques propices à l’envoûtement mais il n’est pas toujours facile de persuader une créature urbaine de vous suivre par les chemins boueux qui entourent votre maison et d’aller prendre un bol d’air pur au bord d’un étang fréquenté par les insectes dégoûtants et les pêcheurs de carpe, mais dépourvu de bancs publics, de témoins et de sonorisations.
À une époque, certains d’entre nous avaient trouvé un gîte-étape adéquat, pour leurs pérégrinations amoureuses, dans la rue Gabriel-Péri, en plein centre de Toulouse, dans un vieil immeuble de parkings, au Connexion café. Autrefois, c’était un magasin de hi-fi qui, je crois, avait été déménagé de la rue du Languedoc (c’est là, dans un étage, vers 1980, que nous avions entendu pour la première fois Kate Bush), où les amateurs de beau son furetaient et salivaient.
Aujourd’hui, on y boit un coup en terrasse avec les amis, un petit Pic St-Loup ou de la bière, devant des bidons colorés, les mêmes qui servent aux Tambours du Bronx ; on va y écouter des musiciens peu connus sauf de quelque tribu, mais extraordinairement nouveaux et intéressants, comme on disait chez Actuel.
– Je t’ai aperçu la semaine dernière avec une brunette aux yeux de feu qui dodelinait de la tête et le mois dernier tu étais au bras de cette rousse au sourire de panthère ; il restait un ongle planté dans ta joue…
– Des amies oui ; des filles très agréables jusqu’à un certain point. Avec du caractère, comme elles en ont toutes parce que leur papa, génération 68 et les suites, leur a répété qu’elles étaient géniales et pas du tout faites pour servir l’homme. Tu vois où ça nous a mené… Bonne conversation même si elles ne comprennent rien à mes discours sur l’âme chilienne et l’état des médias ; elles n’ont d’intérêt que pour mon pot-au-feu, semble-t-il…
– Tu le garnis toujours de saucisses fumées, avec la joue de bœuf?
– J’ai même essayé un saucisson à cuire trouvé au marché de Revel : rustique mais très goûteux et fondant à souhait.
– Elles t’ont fait oublié le grand amour de ta vie ?
– Qui, les saucisses ?
– Hem… ça me rappelle Woody Allen qui en amenait quelques-unes à la crémation de Needleman…
Je crois que non puisque je dors toujours seul et n’ai aucun projet de mariage ni de paternité, surtout pas avec ces intellectuelles libérées.
– Bah, au moins, tu peux prendre une douche à trois heures du mat’ sans déranger qui que ce soit, regarder Bein sports en slip ou écouter Avishai Cohen plutôt que Patrick Cohen en te levant le matin sans outrer la maisonnée.
– Les journées sont parfois longues quand on n’attend personne…
Il était arrivé à celui-là, des soirs de relâche au Connexion, quand ce n’est qu’un bar, de tenir une main, un genou, une nuque, voire d’embrasser, dans la pénombre, profondément enfoncé dans l’un de ces canapés qui ont l’air d’avoir été récupérés chez Emmaüs ou chinés dans quelque brocante. Au Connexion, comme son nom l’indique, c’est une histoire de contact ; on s’approche, on se parle, on se touche, on se trouve, on échange, on se détache, on s’éloigne, on jette l’éponge.
Mais il ne s’agit pas de faire de ce lieu culturel toulousain un lupanar, loin de là.
Nous, nous y avons été invités pour des soirées mondaines, des présentations de saison, surtout des concerts qui restent parmi nos meilleurs souvenirs musicaux.
Il y a eu Martha High, ancienne choriste de James Brown, accompagnée par un groupe anglais de fines lames, et à qui nous n’avions pas pu résister de raconter notre première fois avec le parrain de la soul, en 1981 à la Halle aux Grains ; nous étions au balcon, au-dessus de l’action, parmi des vapeurs vertes : historique ! Mme High répondit aussi sec : alors j’étais là, sur scène, avec les autres filles ! Aussitôt, je lui prends la main comme si c’était celle de Karol Wojtyla.
Le Norvégien Bjorn Berge avait seulement sa Takamine 12 cordes, quelques boîtes d’effet, sa voix de viking bleu, de bonnes chansons bien rudes, y compris sa fameuse reprise de Motörhead. En deux temps, trois mouvements, dans cette salle aux plafonds hauts qui tient sur des poutres, des rails et des barres d’acier, un peu comme on imagine un club berlinois, quelque chose de froid qui chauffe comme une lampe dans un ampli Fender, le musicien emporta les oreilles, le ventre et l’imagination d’un public de hard rock, de blues, de transe et de bonne guitare acoustique jouée « comme on se sert d’une électrique », me dira-t-il.
L’Agenda Culturel – Emission du 17 Octobre 2013
http://www.teletoulouse.fr/Mstr.php?lk=468gLi4788z020&Em=11&Vd=3180
On se souvient aussi de Jim Jones Revue, un gang britannique exubérant, intense et qui joue à la limite de ce que les oreilles humaines peuvent supporter (en tout cas, de ce que les clignotants légaux ont dans le curseur), au son furieux qui doit autant à Little Richard (ce piano martelant le rythme) qu’au rock garage, avec une touche de classe, chemises de prix, gilets serrés, boots pointues, mèches rebelles, chansons concises et immédiatement identifiables sans jamais paraître ni datées, ni rabâchées, tout à l’avenant.
Une soirée avec un groupe cubain, une autre avec des Italiens inconnus et qui le restent mais excellents, des morceaux de choix comme Spasm band… ça tourne grave au Connexion, et le public sait se tenir ; on se demande ce que les riverains en pensent mais ce n’est pas grave : une partie de la culture, car c’en est, a ses quartiers en ville. Pourvu que ça dure…
Et après ?
Pour la saison à venir, on annonce le groupe de Marseille, Aline (1er octobre). Depuis que le TGV a rapproché Paris de la ville d’IAM et de Massilia Sound System, la musique populaire semble y avoir pris un coup mortel qui la ramène au temps du Top 40. D’autres diront qu’Aline, c’est frais. Dans le numéro de septembre de So Foot, ce club de cinq à la « vie électrique » répond adroitement à une batterie de questions sur l’actualité du ballon rond : Gignac aurait rejoint le Mexique pour se gaver de tacos et « c’est moins chiant de boire et danser sous un soleil accablant autour d’un bon barbecue que d’écouter la causerie de Dunga (le sélectionneur du Brésil) ».
Mutiny on the Bounty le 7 octobre : le fleuron du rock luxembourgeois, puisque ça existe, et l’un des tenants actuels du style Math-rock, dont l’arithmétique et ses professeurs sont détaillés sur Internet – nous y entendons un mélange de rock progressif aux boucles d’orgue répétitives et de heavy metal moderne, avec une touche de hardcore américain à la Blackflag. Vraiment bon, rien à voir avec Muse, une découverte.
Heymoonshaker est ce duo néo-zélandais, installé en Suède, associant un beatbox humain très compétent, inventif, et un guitariste sans artifices. Le chant est furieux comme chez Tom Waits, le blues originel et les riffs du hard sont la matière brute dans laquelle triturent les deux gars – premier album le 2 octobre, concert le 10.
Dans la même veine, ayant sans doute dès le plus jeune âge dévoré des steaks bleus et marinés dans le gombo, arrosés d’hydromel, le Suédois Bror Gunnar Jansson reprend en chaussettes le son de Lightnin’ Hopkins et chante des trucs méchants comme si son public était encore composé d’esclaves et autres victimes d’un système monstrueux et corrompu – mais c’est le cas, non ?
Pour les amateurs de reggae roots, le Sénégalais Meta son groupe international the Cornerstones (14 octobre) semblent offrir une agréable mixture, quelque chose de vrai et d’émouvant.
Le rap américain est riche, pas seulement de chaînes en or ; il existe tout un courant de rebelles au pur commerce, des anti-bling-bling en quelque sorte, qui réalisent des œuvres durables avec l’aide de leurs fans et de mixtapes qui font le tour des chaînes du Web. Allez jeter une oreille sur Cunninlynguists, ces chercheurs de flow originaux et de samples inédits, c’est le 3 novembre :
Curtis Harding le 11 novembre, sera une révélation, pour ceux qui n’ont pas acheté le disque chez Gibert, de ce chanteur trentenaire du Michigan qui fait passer Lenny Kravitz pour un Kendji Girac américain. Soul-rock franc du collier, arrangements crus, bonnes chansons qui jouent sur toutes les sensations, de la tendresse meurtrie à la rage contenue, beau black torse nu, en gilet de cuir ou veste de daim, croix autour du cou :
Chanteuse de jazz au milieu des années 2000, violoncelliste venue de Reims et des meilleurs écoles, reprenant Presley avec Rachid Taha ou donnant de la voix au côté de Baptiste Trotignon, Jeanne Added a choisi de construire son propre univers en anglais avec une basse électrique, deux claviéristes et une batteuse ; le public a le cœur poigné quand il l’entend dans ses propres œuvres, héritière de Portishead, de la new-wave, la scène electro voire de Clash (le morceau War is coming), sous la houlette de Dan Levy, la tête pensante de The Dø (11 décembre).
Nous relevons par ailleurs dans ce programme nourri au grain, des bagarres de DJ’s, les soirées deephouse et une pincée de jazz… Le site Internet de la boîte donne tous les détails sur Connexion Live.
Greg Lamazères