Dans une Russie autorisant en toute impunité les pires violences envers les homosexuels, STAND interroge sur la signification de la notion de morale. Un film brillant et intelligent.
Alors que Anton (Renat Shuteev) et Vlad (Andrey Kurganov) roulent tranquillement le soir, ils assistent à une agression. Anton veut sortir aider la victime, Vlad l’en dissuade et redémarre. Quelques jours plus tard, lors d’une soirée entre amis, l’un d’eux travaillant à l’hôpital leur apprend qu’un jeune est dans le coma après avoir été massacré, au lieu où ils se trouvaient. Quand Anton veut rencontrer la victime, celle-ci est morte.
Ceci pourrait être le point de départ de nombreux films. Sauf qu’Anton et Vlad sont un couple et que l’action se déroule à Moscou. La loi russe adoptée en juin 2013 interdit «la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès de mineurs». Ces lois dites «anti-propagandes» ont conduit à l’interdiction de la Gay Pride, aux arrestations des militants LGBT et leurs interprétations permettent les agressions et les humiliations des homosexuels en toute impunité.
Si, dans cette fiction ancrée dans la Russie de Poutine, la police classe l’affaire puisqu’il n’y a aucune raison d’enquêter (le respect des Droits de l’Homme en Russie, c’est un peu comme les dents des poules : on les attend pour agir), la raison d’Anton, elle, lui dit qu’il doit enquêter.
STAND a été tourné en équipe restreinte, à Kharkov, la deuxième grande ville d’Ukraine, à 30 km de la frontière russe, en 11 jours. Ces conditions particulières ne nuisent en rien aux qualités du film. L’écriture est précise. Même dans ce qui peut sembler une conversation banale de couple, aucune phrase n’est gratuite. « C’est dur de faire la part des choses entre ce que tu veux et ce que tu ressens ! » lancé avec amusement dans la voiture avant d’être témoin de l’agression le rappelle au spectateur à chaque décision qu’Anton prend. Jamais militant gueulard, STAND est un film d’une finesse rare.
Le réalisateur Jonathan Taieb filme Anton (Renat Shuteev) dans sa vie de tous les jours (quotidien avec son amoureux, dans son travail d’auxiliaire de vie, sorties entre amis). Plus l’idée d’enquêter s’insinue dans l’esprit d’Anton, se muant jusqu’à l’obsession, plus l’énergie du film nous entraîne avec une délicatesse exceptionnelle vers le thriller. La violence hors-champ (l’agression dans la rue, les vidéos sur internet), précisément uniquement vue par Anton et non par le spectateur, nourrit son obstination. Les relations d’Anton avec chacun des autres personnages l’accompagnant dans sa quête — son amoureux Vlad (Andrey Kurganov), son amie Katya (Ekaterina Rusnak) qui lui présente Andrey (Andrey Koshman) qui veut aider Anton — seront radicalement détruites, chaque sentiment envers eux se transformant en son opposé, chaque action qu’il menait, se retournant contre lui. Le montage permet, sournoisement, un crescendo anxiogène. Tellement habile qu’on en oublierait presque la première image après l’agression, où on entend pour la première fois la voix-off, présente jusqu’à la fin.
Le courage est une vertu de la morale.
Qu’est-ce que la morale ?
Ce que j’estime juste ?
Ce qu’on m’a appris à estimer juste ?
La morale, elle se trouve ou elle s’impose ?
Puis-je penser quelque chose, et agir autrement ?
Qui peut m’empêcher de penser à ma manière ?
Quelle que soit notre morale, ce sont nos actions qui la dictent.
J’espère avoir aidé Anton dans sa quête.
Si la voix-off du film Mustang ne sert strictement à rien — ou nuire au film, ce qui est un peu ballot quand même — celle de STAND est un personnage à part entière, en commentant les choix d’Anton dans un premier temps, et de façon plus surprenante, elle permet aussi une seconde lecture du film. La dernière scène nous prend de court, et illustre le choix du titre. Sa perception sera, comme la notion de morale, propre à chaque spectateur.
Dans une Russie autorisant en toute impunité les pires violences envers les homosexuels, STANDinterroge sur la signification de la notion de morale. Si le courage est une vertu de la morale, son absence laisse la place à la perte de l’estime de soi et à la culpabilité : celle ne pas être intervenu lors d’une agression, et celle d’appartenir aux minorités non-traditionnelles. Pour son second long-métrage, Jonathan Taieb et ses acteurs très convaincants nous entraînent dans une épopée grandiose avec de modestes moyens. Brillamment intelligent !
STAND aura 3 projections à Toulouse, au Cinéma Le Cratère :
Jeudi 9 juillet à 20h30, en présence du réalisateur Jonathan Taieb
Samedi 11 juillet, à 17H00
Vendredi 17 juillet à 19h10