Ni nostalgique des luttes passées, jamais donneur de leçon, ni répétitif, ce voyage du militantisme,-malheureusement toujours d’actualité-, filmé par Carmen Castillo n’est pas que magnifiquement vivant : il est vivifiant !
De Rue Santa Fe….
Dans son précédent long-métrage, Rue Santa Fe, Carmen Castillo revenait sur son passé. La militante du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (le MIR) qu’elle était, entre dans la clandestinité avec son compagnon Miguel Enriquez, chef de la Résistance suite au coup d’état de Pinochet. Ils vivront neuf mois Rue Santa Fe, dans les faubourgs de Santiago du Chili, jusqu’au 5 octobre 1974 où leur maison sera prise d’assaut par les militaires. Miguel meurt. Blessée, et enceinte, Carmen aura une hospitalisation médiatisée, ce qui lui évitera vraisemblablement la torture et la disparition. Elle sera expulsée du Chili avec l’interdiction d’y revenir.
La réalisatrice avait su, durant les 2h43, relater posément 30 ans de l’histoire du Chili, d’Allende à la dictature :raconter ce que lutter impliquait pour les miristes clandestins ou exilés, leurs parents, leurs enfants, jusqu’à aujourd’hui, que reste-t-il de cette lutte ? et poser cette question :
Cela en valait-il la peine ?
*
… à On est vivants
Quand elle abordait son exil en France, Carmen Castillo disait dans Rue Santa Fe « j’ai pu passer de la survie à l’existence ». Dans son nouveau documentaire, On est vivants, on découvre que le philosophe et militant infatigable Daniel Bensaïd est de ces personnes qui ont autorisé ce passage. Le public le connait surtout comme la figure intellectuelle de la LCR, qu’il co-fonde avec Henri Weber et Alain Krivine, présent dans le film.
« Il faut donc lutter, au moins pour s’épargner la honte de ne pas avoir essayé.
Le doute porte sur la possibilité de parvenir à changer le cours du monde,
mais non sur la nécessité de le tenter… »
La réalisatrice sait mettre en écho ses textes avec les luttes actuelles d’individus (et pas un groupe) français et d’Amérique latine. Ni nostalgique des luttes passées, jamais donneur de leçon, ni répétitif, ce voyage du militantisme, malheureusement toujours d’actualité, filmé par Carmen Castillo n’est pas que magnifiquement vivant : il est vivifiant ! Ceux qui se sont déjà engagés, au sein de collectif ou à l’appel d’un syndicat, savent qu’après l’énergie et la conviction du début, viennent des moments de doutes, de relâchement, d’usure, de colère. On est vivants est de ces documentaires qui rebooste, permet de recharger les batteries, et ce, quelle que soit l’issue du combat présenté, qu’il soit gagné – avec les guerrières de l’eau en Bolivie-, ou perdu -avec Christophe Hiou, qui revient sur la longue grève des retraites de 2010, de la raffinerie Total à Donges. Loin des dogmes, chacun lutte contre l’injustice et revient sur son parcours personnel, et chose appréciable, sans virulence. Chaque extrait et chaque témoignage touche par sa sincérité.
Carmen Castillo rappelle que son ami Daniel Bensaïd savait poétiser la politique. « Auparavant, les banquiers en faillite se jetaient par la fenêtre par dizaines. Aujourd’hui, avec un sens de leur confort bien plus important que celui de leur honneur, ils se munissent de parachutes, dorés de préférence. Cette impunité entretient une violence omniprésente dans la société. La violence visible ou physique n’est en effet qu’une part restreinte de multiples violences sociales banalisées. De sorte que, si l’on veut faire diminuer véritablement la violence la plus visible, crimes, vols, viols, voire attentats, il faut travailler à réduire globalement la violence qui reste invisible, celle qui s’exerce au jour le jour, pêle-mêle, dans les familles, les ateliers, les usines, les commissariats, les prisons, ou même les hôpitaux ou les écoles. À commencer par la violence dévastatrice de la souffrance au travail, des harcèlements, brimades, licenciements, du chômage, de la précarité et de la pauvreté. »
Si les luttes s’organisent face aux violences, doit-on passer par la violence pour lutter ? Carmen Castillo donne la parole à Jean Marc Rouillan. Originaire de Toulouse comme Daniel Bensaïd, l’ancien dirigeant du groupe Action Directe a correspondu avec le philosophe lorsqu’il était emprisonné. La parole est libre, sans tabou, très réfléchie, et accessible. Les mots de Daniel Bensaïd ont transformé sa façon d’aborder le militantisme, probablement davantage que les 28 ans d’incarcération.
Notre regard sur ce qui nous semble acquis, car habituel, bouge aussi au fil de ce voyage. « Depuis les années 80, le capital semble devenir l’horizon indépassable de tous les temps. L’histoire menace de disparaître dans la désolation de l’éternité marchande. Pourtant, en tant que mode de régulation dominant, le capitalisme n’existe que depuis 3 ou 4 siècles. Pourquoi ce mode de production serait-il plus éternel que d’autres ? Il n’est pas concevable qu’il représente le terminus où tout le monde descend pour s’installer dans une sorte d’éternité marchande. Le capital n’est pas le dernier mot de l’aventure humaine. »
La première chose qui me vient à l’esprit en pensant à Rue Santa Fe, ce sont les oiseaux. J’ai découvert ce film en DVD, et en réglant le son, les chants que je pensais venir de ma fenêtre ont été modifiés. Carmen Castillo nous parle de ce jour où sa vie a basculé, et je me souviens du chant des oiseaux, par l’intelligence de son montage. Elle renouvelle l’exploit : comme un voyage à l’autre bout du monde nous éclaire et nous enrichit, On est vivant de Carmen Castillo illumine nos existences.
La rencontre avec Carmen Castillo est ici.
On est vivants, de Carmen Castillo, 1h43, en salle depuis le 29 avril.