S’il y a bien un spectacle que tout le monde, ou presque, attend en cette saison 2014/2015, c’est probablement Le Goût du faux et autres chansons. Après avoir effectivement brillé avec le génialissime Didon & Enée / Le crocodile trompeur (auréolé pour la petite histoire par le Molière 2014 du meilleur spectacle musical) le collectif La vie brève remet donc le couvert avec une nouvelle création qu’on aurait envie de qualifier de… forcément moins bonne.
On a beau répéter (quand ça nous chante) que « comparaison n’est pas raison », je me suis pour ma part cette fois-ci rendu au théâtre parce que c’est La vie brève qui était programmé, ensuite par curiosité. Etant à peu près convaincu qu’enchaîner deux chefs d’œuvre coup sur coup est une probabilité aussi courante que celle d’assister à une éclipse solaire, je dois reconnaître que j‘avais mis ma passion en veilleuse afin d’éviter une trop grande déception. Restriction raisonnante et en l’occurrence raisonnable : Le Goût du faux déploie quelques fulgurances théâtrales sans bénéficier de l’homogénéité ou de la densité dont peut se targuer Le crocodile trompeur alors même que les deux spectacles sont très difficilement racontables, surtout si on ne s’est pas donné la peine d’éplucher les dossiers de présentation qui sont particulièrement fournis en raffinement culturel. Exit donc la foultitude de ces infos à la lecture desquelles on croirait qu’on va se taper une visite dans un musée ou dans un UFR de philosophie (youpi !!! hu hum) et place à la représentation.
Le Goût du faux est donc une performance aussi joyeusement foutraque que son prédécesseur mais plus inégale. Les solos qui semblent tenir lieu d’interludes entre des scènes plus conséquentes paraissent en effet dispensables si on considère la durée du spectacle (2h20… tout de même !) et surtout l’efficacité de certains passages. Parmi ces pics je retiendrai assurément l’apéritif entre un écrivain acariâtre et sa sœur qui est d’un tempérament complètement opposé et qui est de surcroît ravie de lui présenter son nouveau compagnon. Le naturel opéré par les trois comédiens dans une situation qui ne manque pas de décalage offre un formidable moment de comédie. Autre passage déconcertant : la pianiste qui s’improvise animatrice de Talk Show à l’américaine, suivie de très près par un traducteur qui semble plus porté sur le mimétisme en mode collé-serré que sur la nécessité de remplir ses fonctions. Le surgissement d’un troisième larron venu illustrer une des anecdotes évoquées par l’animatrice qui jongle entre speechs et chansons achèvera d’entériner l’efficacité de ce sketch. Parmi les moments forts, je retiendrai aussi l’interview des deux cosmonautes en orbite un soir de réveillon ou encore la présentation d’un tableau vivant, d’un jeu un peu trop convenu mais très originale dans l’idée.
Ambitieux dans l’idée – « d’où venons-nous, quelles sont nos origines… LA question métaphysique ! »*, Le Goût du faux prend donc très vite la tangente pour embarquer le public dans un patchwork délirant suffisamment bien mené et interprété pour lui donner envie de revenir. Adhésion à La vie brève prolongée.
Saad Lahbil
Une Chronique de Dans la tête du spectateur
Mise en scène : Jeanne Candel, de et par La vie brève avec Jean-Baptiste Azéma, Charlotte Corman, Caroline Darchen, Marie Dompnier, Vladislav Galard, Lionel Gonzalez, Florent Hubert, Sarah Le Picard, Laure Mathis, Juliette Navis, Jan Peters, Marc Vittecoqin — Scénographie Lisa Navarro — Assistanat à la mise en scène Douglas Grauwels et Nans Laborde-Jourdaa —
Photos : Jean-Louis Fernandez
vu le 7/02/15 au Théâtre Garonne – Toulouse
Le Goût du faux et autres chansons a été créé à la Comédie de Valence le 12 novembre 2014.