« C’est dans la Mort que l’Amour est le plus doux. Pour l’homme qui aime, la Mort est une nuit nuptiale. » Novalis
Le Théâtre du Capitole reprend la production de la saison 2006-2007, signée Nicolas Joël, avec une nouvelle distribution, et un nouveau chef dans la fosse, Claus Peter Flor, un habitué maintenant du Théâtre.
Mais donner Tristan et Isolde, n’est pas une mince affaire. Pourtant, nombreux sont les amateurs honnêtes qui le retiennent dans leur Top 5 des ouvrages lyriques. Peut-être parce qu’au-delà de tout, il magnifie les grands thèmes de notre interrogation humaniste : la vie, l’amour, la mort. Et qu’on y chante si bien la mort ? Mais, en cette période impensable, il est des mots qui sonnent ….justement on cherche les mots.
La musique étant un des trois piliers de tout opéra donné sur scène, et pas le moindre pour une œuvre de Wagner, lui-même disant de la musique de son Tristan que c’était là, « l’art le plus profond du silence sonore », le chef a donc une lourde responsabilité reposant sur ses épaules. Mais il peut abattre sur-le-champ, ici, une carte maîtresse : celle que constitue l’Orchestre disponible dans la fosse, celui du Théâtre du Capitole dont les éléments relèvent de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Un orchestre de tout premier plan, capable d’affronter toutes les musiques et tous les répertoires sur instruments modernes. Toutes ses qualités ont déjà été éprouvées dans tous les Wagner donnés récemment, les Strauss, et Janacek, et compositeurs contemporains. Et un orchestre que Claus Peter Flor connaît bien : Les Noces de Figaro (2002) – La Flûte enchantée (2003, 2007 et 2010) – Cosi fan tutte (2006) – Madame Butterfly (2012) – Hänsel et Gretel (2013) ).
Dans un entretien accordé à Robert Penavayre, Nicolas Joël nous livre : « J’ai le souvenir d’un spectacle dans lequel j’ai réussi à mettre sur scène des éléments qui m’ont toujours fasciné à l’audition de Tristan et que j’ai rarement vus sur scène, je parle des éléments de nature cosmique que j’entends autant dans la musique que dans le texte. Je veux parler plus particulièrement de la mer et de la nuit. Je trouve que ce spectacle donne à voir tout cela de façon moderne et convaincante à la fois.
D’ailleurs je tiens à souligner ici la prouesse technique des techniciens du Capitole pour ce premier acte, qui se passe sur une scène articulée entièrement mouvante à l’image des vagues. »
Evoquons – en partie – ce qui va se passer sur le plateau. Personnellement, dans cet opéra, étant beaucoup plus sensible à la musique qu’à tout ce qui peut bien se passer sur scène, me voilà rassuré en sachant que c’est cette très belle production qui nous revient à l’affiche, et sur laquelle je ne peux que citer ces quelques lignes de notre ami Laurent de Caunes, sous le titre : « Le désir d’un art total ». Un fort beau titre, n’est-ce pas ? Entre parenthèses, un certain Jacques Rivière de la Nouvelle Revue française écrivait en 1974 : « Il n’y a pas d’œuvre qui soit plus dépourvue d’espoir que Tristan; car elle n’exprime que le désir, qui est le contraire de l’espoir. A chaque mesure et dès la première, le désir. »
De Laurent de Caunes donc (16 mars 2007) : « Dès le programme de salle qu’il suffit d’ouvrir, il est aisé de comprendre à quel point la conception de ce spectacle s’inscrit dans la recherche, dans l’espoir, dans le désir d’un art total. Textes, illustrations, décors, gestes, costumes, musique orchestrale et chant se répondent et se correspondent au plus pur sens baudelairien. Au terme d’un long voyage, beauté, amour et néant se trouvent enfin réunis et offerts aux sens.
(…) Au dernier acte, il n’y a plus de ciel, mais seulement un espace abstrait au milieu duquel se trouve en suspension dans l’air un rocher, concret et incongru comme un objet de Magritte ou un minéral de Max Ernst, rappel obsédant et désolant de la force de la matière et du point du destin. Et si le corps de Tristan finit écrasé, sous cette matière et par ce destin, l’âme d’Isolde, en robe rouge, semble leur échapper, tandis qu’à l’horizon, l’extase enfin atteinte, les voiles noirs du deuil se déchirent. (…) Cette vision saisissante résume à elle seule la puissance esthétique de cette mise en scène, par laquelle se trouve accompli l’acte impossible de représentation d’un monde spirituel.… »
Nous voilà bien réconfortés par avance de ce qui nous attend. Andreas Reinhardt signait les décors et costumes pendant que Vinicio Cheli créait les lumières dont l’importance est absolument cruciale si l’on a à l’esprit l’antagonisme symbolique du Jour et de la Nuit persistant à travers l’œuvre entière. La Nuit abrite la vérité d’au-delà. Jour ennemi, Nuit amie. Le texte et la musique charrient les images Jour-Nuit. Les personnages en sont « marqués ». Blanc éclatant du Jour, bleu profond de la Nuit.
De Richard Wagner, deux simples notes concernant la mise en scène : « …tout part du poème, tout aboutit à la musique… », et plus loin, …ne jamais permettre un seul instant, que le tableau scénique soit inexpressif. »
Un livret dont on ne peut se permettre d’ignorer qu’il est entièrement de la main de Richard Wagner, qui l’écrit, d’abord en prose, puis le versifie, et ensuite écrit la musique. D’aucuns vous diront qu’en écrivant un vers, il sait déjà les notes qu’il va plaquer dessus. C’est Wagner.
« Car jusqu’à présent, Dieu a toujours jeté le don de poésie d’une main et celui de la musique de l’autre main – et ceci, à des êtres si éloignés l’un de l’autre que l’on attend encore l’homme qui saura à la fois composer le livret et la musique d’un véritable opéra. » Jean-Paul (Jean-Paul Richter) – philosophe et poète allemand – lignes écrites en 1813, année même de la naissance de Richard Wagner. Le vœu de JP est donc exaucé.
Dans une lettre à Liszt, son futur gendre, plus âgé que lui ! Wagner écrit en 1854, le 16 décembre : « Comme dans mon existence je n’ai jamais goûté dans sa perfection le véritable bonheur que donne l’amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous, un monument dans lequel cet amour se satisfera largement d’un bout à l’autre. J’ai ébauché dans ma tête un Tristan et Iseult (Isolde en allemand). C’est la composition la plus simple, mais la plus franchement et absolument musicale où déborde la vie la plus intense. Et dans les plis du noir pavillon qui flotte au dénouement, je veux m’envelopper et mourir. »
Synopsis ou Argument – Quelques éléments
« Éros, Éros, tu verses goutte à goutte le désir dans les yeux, les délices {pathon} dans l’âme sur qui va fondre ton attaque. Euripide, Hippolyte,
L’homme est un puits de culture sans fond. Il semble avoir lu toutes les légendes de toutes les contrées, de Beroul à Thomas de Bretagne, en passant par Marie de France, Eilhart d’Oberg, de Dante à Walter Scott,… Ici, il part de la légende celtique, ce conte « d’amour et de mort » ; nous sommes à la fin du XIIè siècle. Pour faire simple, tout part d’un cheveu d’or que le roi Marke, roi de la Cornouaille insulaire, a aperçu sur le bord de sa fenêtre apporté par une hirondelle. Paroles en l’air, galéjade, il promet à son entourage d’épouser la personne à qui il appartient. C’est là que son neveu, qu’il élève, Tristan, orphelin de sa sœur, a reconnu le cheveu en question. Et comment donc ? Il appartient à Iseut, nièce de Morholt, le géant d’Irlande. Quel coup d’œil. Ce géant qu’il a défié il y a peu et tué, mais fut lui-même blessé par le fer empoisonné de son ennemi. Une seule personne possède les onguents pour le guérir, ce que nous appellerons des antidotes !! C’est, devinez qui ? la belle Iseut aux cheveux d’or. Iseut qui, à l’examen de la blessure de Tristan arrivé en barque, a reconnu l’arme en cause de son oncle, frère de sa propre mère, et aussi fiancé, tué,. Au lieu de se venger, c’était bien commode, la malheureuse tombe amoureuse de son patient, et le soigne. Un seul regard a suffi. Ce dernier, guéri, est reparti en Cornouaille, mais en emportant la vision des cheveux d’or, et lui aussi prisonnier du regard de sa guérisseuse. Sachons qu’ils sont donc prisonniers, déjà, l’un de l’autre.
Who ever lov’d, that lov’d not at first sight ?
Qui a jamais aimé, s’il n’aima au premier regard ?
W. Shakespeare – As you like it, III, 5
Très important, ils n’ont pas attendu le philtre pour “tomber“ amoureux l‘un de l’autre, le fameux philtre qui, échangé volontairement par Brangaene, n’est donc pas le philtre de mort à consommer en cas de sacrilège ou autre. C’est le philtre d’amour préparé par la maman d’Iseut. Sa fille devra le boire avec son futur mari le roi Marke, pour qu’ils s’aiment tous deux, enfin, que leur amour soit un peu stimulé.
John-William Waterhouse, peintre britannique, 1916
Quelle grossière erreur de la part de la servante qui a voulu trop bien faire : éviter le philtre de mort à sa maîtresse, et à Tristan d’abord. Cela partait, comme on dit, d’un bon sentiment, mais l’affaire s’enclenche alors. Elle est bien la cause d’un mal plus terrible que celui qu’elle voulait éviter.
Les deux, Tristan d’abord, Isolde ensuite, lui arrachant le reste de la coupe, boivent le philtre qui les désinhibe totalement et annonce la fin du premier acte, et bien sûr le duo d’amour de l’acte qui suit. Le breuvage n’aura pas créé l’amour, mais en aura changé la nature profonde. On quitte l’amour de dimension humaine, ordinaire, banal ? refreiné par conventions sociales et convenances. Il en fait une force irrésistible que plus rien n’est sensé pouvoir calmer, atténuer et encore moins, arrêter. La nature de ce breuvage n’a finalement aucune espèce d’importance ; c’est, on dira, un placebo, un alibi, il sert seulement à déverrouiller l’inconscient, à dégoupiller la grenade, provoquant la déflagration !
Auparavant, acte I, Iseut n’aura eu qu’une obsession, se venger de celui qu’elle a guéri, vengeance qu’elle raconte à sa servante. Se croyant trahie, elle veut, à tout prix, faire venir près d’elle celui qui la protège et la ramène en bateau en Cornouaille, près de son futur mari ; un Tristan dont elle ignore qu’il est secrètement amoureux d’elle – le regard – mais dont le devoir filial, par fidélité féodale, passe avant, mais passera derrière après la prise du breuvage. Elle est furieuse que ce soit Kurnewal, son écuyer qui se charge de faire le lien entre eux deux.
Vous l’avez compris par ces premières lignes. Un ensemble, mise en scène, décors, costumes et lumières, globalement satisfaisant, qui va vous éviter de partir à la rencontre de ce phénomène d’actualisation des ouvrages dont usent et abusent nombre de metteurs en scène pas toujours “bourrés “ de talent. Vous n’aurez pas à supporter, par exemple, Isolde et sa fidèle servante Brangaene sirotant des cocktails sur le pont du yacht du roi Marke. Même si on peut nous souhaiter que, depuis 2007, Brangaene ait perdu ses lunettes noires ! Ou encore, ailleurs, très loin de l’intemporel, les deux amants mythiques se pâmant sur un canapé à fleurs, très vintage, pour ensuite les faire disparaître derrière un rideau que l’on tire pour isoler le monde des adultes de leurs galipettes supposées.
Pire encore, quand les amants, tout surpoids évident oublié, n’arrivent pas ou plus à se déplacer et doivent choisir entre se mouvoir, un peu, ou chanter…ce qui ne fut pas le cas, ici,
Car Tristan et Isolde avance sans cesse, la musique est bien là pour le rappeler. Si l’on veut bien accepter le mot sobriété pour ce qu’il en est du livret réduit au maximum par rapport au tissu complexe de la légende, cette sobriété aboutit à une gageure : il ne se passe pas grand chose sur scène pendant les deux premiers actes, c’est sûr. D’aucuns, utilisant les techniques modernes, les meublent alors avec des vidéos ou des effets visuels, estimant la pièce théâtralement insuffisante. L’exercice se révèle extrêmement difficile, et au bilan, rarement satisfaisant. Mieux vaut se fondre dans ce lien interne que constitue la plus sublime des musiques. C’est cela qu’a voulu le compositeur, d’abord, que l’on entende sa musique devenue l’âme du drame. Leimotive, du Désir, du Regard, de l’Aveu, du Philtre d’Amour,…de Tristan blessé, du Jour, et encore,…ces fameux thèmes et motifs musicaux qui parcourent l’œuvre et que vous repérerez tout au long, constituant le fil rouge.
Ecoutez l’orchestre, la fosse est pleine, l’effectif est impressionnant. Comment font-ils pour être tous casés, et jouer ? Vous aurez pas moins de 10 cors au total, fosse et scène, et 5 trompettes et 6 trombones et un tuba soit 22 cuivres, c’est énorme. Côté bois ou vents, 14, vous devez noter l’importance de la clarinette basse, tout comme du cor anglais. Suivant les possibilités, pour les pupitres de cordes, il devrait y avoir près de quarante cordes sans oublier une harpe. C’est énorme. L’orchestre, c’est lui le philtre, le breuvage magique. Il conspire à des enchantements d’un raffinement, d’une séduction inouïs.
D’ailleurs, laissons la parole à un des plus grands Tristan sur scène, le ténor Jess Thomas. Ces quelques lignes sont capitales : « Pour une compréhension totale d’une œuvre de Wagner, Tristan ou tout autre opéra, on doit toujours se référer à la partition elle-même, parce qu’il a écrit exactement ce qu’il voulait, non seulement à travers les indications scéniques, mais surtout dans la musique qui dit tout par elle-même. Si on lit ce qui est dit, si on écoute la musique, toutes les analyses deviennent pratiquement inutiles car tout est là : on peut bien discuter sur la signification de tel ou tel détail, la seule réalité est la musique de Wagner et les mots tels qu’il les a associés à la musique. D’une certaine manière, c’est une énorme prétention que de vouloir analyser une œuvre de Wagner, c’est comme discuter de la signification de la vérité; si on comprend la musique, si on la sent, si on lit le texte, il n’y a pas grand chose d’autre qu’on est besoin de savoir !… »
Rien à rajouter. C’est pourquoi vous serez pardonné si, ne pratiquant pas l’allemand, vous aurez, si possible, votre regard souvent dirigé vers les surtitres.
Votre serviteur manque de courage pour vous livrer un texte que vous vous empresserez de rechercher, à savoir : Une lettre de Richard Wagner à Mathilde Wesendonk, datée du 18 septembre 1858, adressée un an après l’achèvement de l’opéra, alors qu’il a dû s’éloigner de Mathilde, l’épouse de son bienfaiteur, Otto Wesendonk, jeune et belle femme, cultivée et poétesse à ses heures, un peu l’antithèse de Minna Wagner, l’épouse légitime et délaissée, revêche et prématurément vieillie, compagne tout de même des années de galère dans la vie du couple. Réfugié seul dans un palais à Venise, Minna en cure thermale, Wagner a le temps de boucler son opéra et d’écrire à celle qui fut un peu son Isolde.
La création n’eut lieu qu’en 1865, à Munich, grâce à un certain Louis II de Bavière, mécène que tout un chacun se souhaiterait. Tristan et Isolde étaient le couple mythique ci-dessous en photo. Lui, ne fera que quatre représentations. Il meurt d’un refroidissement contacté durant… l’acte III.
Robert Dean Smith Tristan
Elisabete Matos Isolde
Daniela Sindram Brangaene
Stefan Heidemann Kurwenal
Hans-Peter Koenig Le Roi Marc
Thomas Dolié Melot
Paul Kaufmann Un Berger / Un Matelot
Choeur du Capitole – Alfonso Caiani direction
Orchestre national du Capitole
Le Tristan a déjà été applaudi sur la scène du Capitole dans Andrea Chénier et dans La femme sans ombre tandis que son Isolde, fait ses débuts sur cette même scène. Brangaene et Kurnewal avaient été remarqués dans la très belle production de Rienzi. On est impatient d’entendre la grande basse dans le roi Marke, tout comme Melot, Thomas Dolié dans un rôle très loin d’Adario dans Les Sauvages !
Le Berger (avec son cor anglais en coulisse !), Paul Kaufmann, devient un habitué du Capitole.
Quant au Chœur du Capitole, nous sommes pleinement rassurés car ils …assurent !! leur Directeur veille.
Autour de Tristan et Isolde : On n’oublie pas toutes les manifestations qui accompagnent chaque production. Renseignez-vous.
Michel Grialou
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