La Maddalena est probablement cachée parmi les Oréades tandis que la Madone se tient entre deux spectateurs quelque part au parterre. Mario boit l’eau du godet où trempent ses pinceaux et ne peint pas. « Facciam piuttosto il segno della croce », dit le sacristain. Et il ne le fait pas. «la mano mia la vostra aspetta… per offrirvi l’acqua benedetta», dit Scarpia à Tosca. Et il ne le fait pas. Pierre Audi met du Godot dans cette Tosca.
Toutes les églises sont en forme de croix. Ici la croix fait église. À cour la chapelle aux Oréades callipyges – le bellezze diverse – très partiellement voilées de noir [1] – les religieuses s’emploieront à les masquer de leurs cornettes aux yeux des enfants de chœur. À jardin, la nef avec cierges. Le Te Deum est une réussite visuelle : noir des manteaux des fidèles en bas contrastant avec le blanc des aubes des enfants en haut, domination de la hiérarchie à mitres et à crosses, isolement de Scarpia parmi les nymphes.
La croix plane maintenant sur le bureau de Scarpia. Le dîner, le vin d’Espagne, les bougies, l’écritoire sont bien là. Et des livres. Et des instruments d’optique. C’est un Scarpia cultivé et féru d’astronomie. Le panoptisme va jusqu’à la surveillance des révolutionnaires sélénites. Les sbires sont chauves et Roberti le tortionnaire est bodybuildé tendance cuir – l’habit fait le bourreau. Après son bacio, Tosca emporte un pistolet. On imagine une fin originale… las, on ne le reverra pas dans le désert.
Daniel Oren ne pouvait pas être à la fois au Bal et à l’église Sant’Andrea della Valle. Ses tempi ralentis à l’extrême décomposent le Recondita armonia ainsi que le ténor. Marcelo Alvarez devient caricature de chanteur, avec gestes de chanteur, tremblements de vibrato par tout le corps, et passage aux notes aiguës avec des appels de sauteur à la perche. Il n’y a plus de Mario. Wojtek Smilek (Angelotti) et Francis Dudziak (le sacristain) ne semblent pas non plus à leur aise. Martina Serafin est une Tosca solide, belle actrice malheureusement desservie par une réalisation qui exagère les gros plans jusqu’aux détails des rides. Le Vissi d’arte, magnifique prière adressée au crucifix imposé par Scarpia, est émouvant.
Phrasé, diction, jeu subtil en expressions et en regards, Ludovic Tézier fait un Scarpia d’une grande noblesse, un épicurien frustré qui se passe le pouce sur les lèvres, savoure ses mots (on sent une véritable délectation dans le simple « Basta, Roberti ») et torture à défaut d’aimer. «Un Don Giovanni amer, qui souffre de sa solitude, de la compagne qu’il n’a pas» [2].
Un camp de soldats au milieu de nulle part. Avec arbres. Ébranchés, sans feuilles, comme après un incendie. La croix pour ciel. Un prêtre distribue la communion. C’est le désert, mais on entend tout de même le pâtre, les cloches, et le bureau de Scarpia est à portée de voix. Tosca a même eu le temps de faire un saut chez elle pour se changer. Le seul qu’elle fera. C’est un voile noir qui tombe pour un effet qui tombe… à plat.
[1] « Le recadrage (en haut) prive le tableau de sa verticalité, il lui ôte l’idée d’élévation. Le voile funèbre (en bas), posé sur le corps des femmes, fait obstacle au plaisir. La peinture est empreinte d’une érotique morbide. Les faunes ont quitté le tableau. Ils sont descendus sur scène, parmi nous : Scarpia, le faune machiavélique, et Cavaradossi, qui est aussi un faune, mais naïf, idéaliste… » (Pierre Audi)
[2] Ludovic Tézier, entretien avec Alain Duault
Photos © Charles Duprat / Opéra national de Paris
Retransmission en direct de l’opéra Bastille, UGC Wilson, 16 octobre 2014
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.