À l’inverse de bien d’autres nations, je ne choquerais personne en disant que nous avons un mal fou à assimiler les communautés qui composent notre pays (et font malgré tout sa richesse et sa diversité). Le cinéma étant un parfait reflet de la société, les films français qui traitent du sujet sont rares, pour ne pas dire inexistants.
Pourtant, certains réalisateurs en font le cœur de leur filmographie.
C’est le cas de Jean – Charles Hue qui depuis La BM du seigneur (son premier long – métrage), s’est plongé dans la communauté des gitans. Il en ramène des témoignages forts, immersifs, loin des stéréotypes que peuvent engendrer habituellement les gens du voyages.
C’est exactement le cas de son dernier film, Mange tes morts*.
Jason a tout juste 18 ans et et se prépare à deux grands événements : son baptême chrétien et le retour de Fred, son grand frère, qui a passé plusieurs années en prison.
Avec Fred, Mickaël et Moïse, ils vont partir en virée et tenter de mettre la main sur une cargaison de cuivre, mais surtout essayer de renouer des liens distendus par l’absence.
Jean – Charles Hue possède l’intelligence de son sujet. Sa caméra sur l’épaule, constamment à hauteur d’homme, continuellement en mouvement, il pénètre au sein de ce groupe d’hommes et de femmes souvent méconnu, toujours méprisé. Il nous livre un film nerveux, sec, assez désespéré.
Les acteurs, non professionnels, compensent leurs inexpériences par des présences naturelles (seul Frederic Dorkel bénéficie d’un peu plus de pratique que ses coéquipiers, puisqu’il était déjà le personnage principal du 1er film de Hue). Leur complicité (ils font partie de la même famille) et leur bagou font le reste.
Le fait d’employer des non professionnels donne une ambiance unique au long – métrage, fiction et réalité se mêlant étroitement. Jean – Philippe Hue ne tente pas d’expliciter un contexte social ou de rallier le spectateur à une quelconque cause, il livre les choses, telles qu’elles sont.
Traité à la manière d’un western nordiste, Mange tes morts est un film sans fioriture, à la photo paradoxalement chaude.
Sélectionné à la quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, Mange tes Morts en sera reparti sans récompense officielle mais avec une visibilité tout à fait méritée.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio
* : Le terme » Mange tes morts » équivaut dans la communauté gitane à l’une des pires insultes que l’on puisse asséner à quelqu’un, lui signifiant par là qu’on l’envoie renier ses ancêtres.
Jean – Charles Hue explique que » Si les gitans vivent beaucoup au jour le jour, il n’en reste pas moins que leur attachement aux parents, aux ancêtres est fondamental et qu’il s’agit d’un socle pour la communauté. Celui qui mange sa parole ou la mémoire des anciens n’est plus un homme « .