Toulouse. Halle aux Grains, le 18 septembre 2014. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en si bémol majeur, op. 23 ; Antonin Dvorak (1841-1904) : Symphonie n°9 en mi mineur « du Nouveau Monde » op.95 ; Behzod Abduraimov, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction : Tugan Sokhiev.
Chronique écrite pour Classiquenews.com
Comme jamais, cette rentrée de l’orchestre était très attendue. Salle comble et demandes de place non satisfaites sur petits papiers à l’entrée de la Halle aux Grains le prouvent. Ce n‘est pas seulement le programme comprenant deux œuvres phares du répertoire mais surtout une véritable impatience à retrouver notre orchestre et son chef qui a motivé cette fièvre. Comment ne pas le deviner, cette liaison entre la ville, l’orchestre et son chef est à son zénith. Tugan Sokhiev dirige à Berlin et Moscou en plus de Toulouse ! Chacun mesure et la chance qui est la notre et un prochain départ qui devient une évidence. Donc c’est la fête de la rentrée de l’orchestre et Catherine D’Argoubet a comme de bien entendu artistement choisi le pianiste complice de Piano aux Jacobins pour ce concert double. Signalons d’ailleurs que le jeune prodige Ouzbeke, Behzod Abduraimov, se produira au Cloître des Jacobins mercredi 25 septembre en solo.
Le premier concerto de Thaïkovski créé à Boston a toujours eu un succès publique considérable. Son début si puissant est inoubliable. Dans un tempo très retenu Tugan Sokhiev, qui aura le geste rare, donne une tension aux premiers accords qui relayés par le pianiste construira une interprétation à la théâtralité assumée. Suivant à la lettre les indications du compositeur Tugan Sokhiev offre un vrai « Allegro non troppo et molto maestoso » ce qui permet au pianiste de nuancer considérablement son jeux. Le temps donné à la partition pour se déployer lui donne toute la puissance requise et la tendresse n’en devient que plus émouvante. Les attitudes de Behzod Abduraimov sont celles d’un jeune homme passionné ne faisant qu’un avec son instrument, tour à tour le dominant, le caressant ou lui chantant la beauté de la vie. La délicatesse de certains touchers est très inhabituelle dans ce concerto virtuose qui permet des effets lisztiens extravertis. L‘écho délicat dont il est capable dans la cadence, les subtiles nuances et les sonorités variées promettent beaucoup et le concert de mercredi nous permettra d’approfondir la connaissance d’un interprète que je devine sensible et poétique plus que puissant et tonitruant. Savoir résister au coté démonstratif de ce concerto n’est pas donné à tout un chacun. Dans le deuxième mouvement, andantino simplice, Tugan Sokhiev suit l‘indication à la lettre laissant flute, bois et cors dialoguer en toute liberté avec le soliste qui se révèle très à l‘écoute des musiciens de l‘orchestre. La flute de Sandrine Tilly fait merveille dans cette mélodie nocturne relayée par le violoncelle ambré de Sarah Iancu dans un beau dialogue avec le piano délicat de Behzod Abduraimov. La partie centrale plus rhapsodique fantastique est délicatement nuancée et le retour du tendre thème au hautbois, cors et clarinette est pure beauté des songes. La battue modeste de Tugan Sokhiev laisse beaucoup de liberté aux musiciens. Le final caracole et la précision de l’orchestre fait merveille. Dans un gant de velours mais avec une tenue ferme du tempo les gestes précis de Tugan Sokhiev dynamisent le mouvement, relançant l’intérêt. La vélocité des doigts de Behzod Abduraimov fait merveille mais sans jamais renoncer à de fines nuances. Le final enthousiasmant termine avec brio et le public après de nombreux rappels obtient un bis qui permet de deviner les qualités lyriques pleines de délicatesse du pianiste. Le nocturne de Tchaïkovski habilement choisi promet beaucoup en tous cas.
La symphonie du Nouveau Monde poursuit ce voyage d’Europe centrale aux Amériques. Grande œuvre, magnifiée par un grand chef et un grand orchestre : le public a été gâté. Et sur Medici Tv il est possible de réécouter cette superbe interprétation qui permet à tout l’Orchestre du Capitole de briller. Nuances bien creusées, puissance maitrisée, phrasés délicats et construction rigoureuse de tous les plans caractérisent cette interprétation. Tugan Sokhiev dirige avec bonheur une partition qui grâce à lui ne manque ni d’espace ni de couleurs. Le théâtre est présent et le public est transporté dans un beau voyage au final enthousiasmant. Le mouvement lent avec cette cantilène extatique du cor anglais ouvre un instant de pure poésie. La soliste, Grabielle Zaneboni, a un legato magique. Dvorak donne de beaux instants à chaque famille de l’orchestre et de magnifiques soli.
Chaque musicien est engagé totalement et semble heureux. L‘orchestre est somptueux à chaque instant, capable de rendre à cette œuvre si célèbre des moments de surprise.
Le final a lui seul comblera le plus exigeant par la délicatesse de sa construction. Du très grand art!
Un grand et beau concert d‘ouverture qui promet une saison magnifique et le public qui l‘avait deviné, a été présent !
Hubert Stoecklin
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