Un créateur mystérieux pour l’éternité
Début 2014, Jalil Lespert nous offre un magistral biopic consacré à Yves Saint Laurent, dominé de la tête et des épaules par un Pierre Niney totalement fascinant. Ce premier opus s’attache plus particulièrement à la relation tumultueuse qui unit le couturier à son amant et pygmalion, Pierre Bergé, un stupéfiant Guillaume Gallienne. Aujourd’hui c’est au tour de Bertrand Bonello de nous proposer en 2h30’ son portrait du magistral et légendaire artisan de la mode. La comparaison est inévitable. D’un côté la vision de Lespert, franchement romanesque mais validée par Pierre Bergé et disposant de matériels authentiques incroyables (lunettes d’YSL, robes de collection, bibelots, appartements, etc.). De l’autre, un film dont Pierre Bergé a tenté d’interdire le tournage. C’est tout dire ! De là à conclure que le travail de Bonello trahit l’histoire, il n’y a qu’un pas à franchir. Cela dit, ces deux cinéastes ont quelque chose en commun, aucun n’aborde le substrat créatif de Saint Laurent. Et ce ne sont pas deux coups de crayons qui peuvent nous faire pénétrer le talent de ce véritable génie. D’ailleurs, cette mission est quasiment impossible. Bonello décide donc de se concentrer sur une dizaine d’années de la vie d’YSL, jusqu’en 1976. Une vie dont il privilégie les excès, la luxure, la drogue, l’alcool, n’hésitant pas, tout comme ses comédiens, devant quelques scènes qui n’ont pourtant pas fait broncher la censure française !
Mais pour tenir 2h30’, il faut un certain souffle et, très clairement, Bonello ne tient pas la distance. Résultat inévitable : scènes répétitives et assommantes dans les boîtes de nuit, scènes étirées jusqu’à plus soif, en particulier celle de la discussion avec les actionnaires du groupe, scènes ridicules et racoleuses (pour ne pas dire autre chose), spécialement celle au cours de laquelle Pierre Bergé (ici Jérémie Rénier), nu comme un vers sous une simple et courte veste d’intérieur, enferme YSL dans un dressing duquel ce dernier ressort en tenue d’Adam ! Et d’autres… Bien sûr le film vous fait pénétrer sur la pointe des pieds dans l’univers de cette maison de couture et de ses petites mains, quitte au passage à nous montrer YSL sous un aspect pas très reluisant, loin de cette gentillesse qui lui semble chevillée au corps. Il y a aussi les indispensables défilés, déjà vus mille fois. Mais comment innover en la matière ? Ce film, résolument esthétisant, dépeint par un subtil jeu de miroirs permanent la décadence d’une classe sociale dans laquelle le champagne coule à flot et où l’on donne du caviar à son chien. Si l’on remarque au passage la prestation de Louis Garrel en vénéneux Jacques de Bascher, ainsi que l’apparition d’Helmut Berger (YSL âgé), un comédien envahit heureusement l’écran : Gaspard Ulliel (YSL). Il est le pilier somptueusement fragile d’un film qui déçoit finalement par une ambition viscontienne mal maîtrisée, tant dans le fond que dans la forme.
Robert Pénavayre
Gaspard Ulliel – Quand l’égérie de Chanel joue Yves Saint Laurent
A la veille de ses trente ans, ce natif de Neuilly sur Seine, qui décroche son premier rôle à onze ans, dispose aujourd’hui d’une filmographie particulièrement hétéroclite dans laquelle films d’auteur et blockbusters s’entrechoquent allègrement. Absent, ou à peu près, des radars du 7ème art depuis quelques années, ce jeune homme au regard translucide et au talent mille fois démontré mise beaucoup sur ce Saint Laurent, pour lequel il a minci de 12kgs ! Il estime avoir atteint ici son plus haut degré d’aboutissement artistique. A ce jour, bien sûr !
Pour quel public ?
Averti pour le moins ! Certes nos ados voient mille et mille choses sur le net, mais de là à leur recommander ce type de production… D’autant que les turpitudes des créateurs de mode du siècle passé sont certainement loin de leurs préoccupations.