La vie ? Un combat, tout simplement
Ah, ce qu’on les aime ces premiers longs dans lesquels des réalisateurs en herbe se mettent à nu et nous montrent tout ce qu’ils savent faire, et même plus, quitte à frôler l’overdose ou encore à s’égarer dans les excès de l’enthousiasme. Il est rarissime, et c’est logique, qu’un premier film soit parfait. Il appartient cependant à la critique de l’observer avec une certaine bienveillance tant ce bébé est le fruit d’un enfantement douloureux et long, ayant demandé une énergie et une pugnacité inimaginables. Multi-primé au dernier festival de Cannes (voir encadré ci-dessous), le premier opus de Thomas Cailley révèle cependant des qualités plus qu’évidentes. Coscénariste de son film, ce jeune réalisateur nous met sur les pas d’une jeunesse en perte et à la recherche de repères. Madeleine est une bombe d’introversion agressive. Telle une nageuse de combat, elle fait des kilomètres dans l’eau chargée d’un sac à dos bourré de briques. Sportive jusqu’au bout des ongles, elle n’en est pas moins d’un pessimisme effrayant, pensant la fin du monde proche et s’apprêtant par ses entraînements à suivre un régime de survie. Pour se perfectionner elle décide de faire un stage de préparation militaire intensif afin d’intégrer un corps de commandos. C’est alors qu’elle croise le chemin d’Arnaud, un doux rêveur qui, avec son frère, prend la succession d’un père récemment décédé, dans une entreprise de menuiserie. Lui aussi est sportif, un peu comme on l’est communément à 20 ans, sans plus. Problème, Arnaud a le coup de foudre pour Madeleine et décide de la suivre dans son expérience militaire. La séquence franchement comique peut démarrer, avec ce qu’il faut de charge sympathique contre la Grande Muette. Comique mais pas seulement car une scène particulièrement habile, celle dans laquelle les deux jeunes gens se maquillent au brou de noix mutuellement, va révéler l’ardente affection d’Arnaud et certainement fissurer ce bloc de fureur qui ceint Madeleine. Puis il va y avoir cette expédition de nuit, alors qu’Arnaud prend du grade et que Madeleine accumule les avertissements pour mauvaise conduite. C’est là que tout se passe. Arnaud, face à l’attitude de Madeleine confondant le stage avec une situation réelle, décide de reprendre le chemin de sa vraie vie et plaque tout en pleine nuit. Madeleine lui court après. Le gentil Arnaud a pris le dessus. Seuls dans la forêt, tels Paul et Virginie (ou presque…), ils vont enfin se rencontrer. Mais la Nature est –elle si hospitalière que çà ? Non, bien sûr.
Porté par deux jeunes comédiens épatants de naturel : Adèle Haenel, Madeleine minée par une violence intérieure, et Kevin Azaïs, Arnaud au regard à faire fondre les pierres, ce film parvient à convaincre malgré quelques préciosités dans les plans rapprochés (trop de profils plein cadre !) et un certain relâchement dans la trame narrative. Il parvient à convaincre car, à de nombreuses reprises, des scènes magistrales portent le sceau émotionnel d’un réalisateur qui, avec le temps, devrait nous réserver de bien belles surprises.
Robert Pénavayre
Thomas Cailley – Un premier long amplement salué
A 34 ans, cet aquitain pur jus peut se vanter d’avoir fracassé la Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes 2014, revenant auréolé du Prix SACD, du Label Europa Cinéma et de l’Art Cinéma Award ! Difficile de faire mieux avec un premier long métrage. Certes, cet amateur de pêche à la truite formé à la FEMIS avoue humblement les deux ans qu’il a mis à écrire son film, plus les six mois de préparation et quasiment autant pour le tourner et le monter. Soit trois ans. Mais cela valait d’autant plus le coup que ce film est porteur d’un prodigieux talent plein de promesses. A suivre évidemment.
Pour quel public ?
Plutôt post ados et au-delà mais franchement le discours et les images font de ce film le genre même s’adressant au plus grand nombre.