De l’investissement, il en aura fallu pour mener à bien un long métrage aussi ambitieux que celui de Boyhood.
Lorsque pour ce projet, le réalisateur Richard Linklater était en train de définir sa méthode de travail, une décision radicale (et pour le moins kamikaze) s’est imposée à lui : faire courir le temps de tournage sur une période de 12 ans, afin de coller au plus près de son personnage principal.
Oui oui, 12 ans, vous n’avez pas la berlue. Ce type est fou, tout bonnement …
Tout commence par l’histoire de Mason, 6 ans, qui vit avec sa mère et sa sœur dans une petite ville du Texas.
Parfaitement heureux dans sa maison de banlieue, le gamin ne s’attend pas à ce que sa mère décide brutalement de déménager à Houston afin de reprendre ses études. C’est aussi le moment choisi par le père pour réapparaître dans leurs vies (alors qu’il pointe aux abonnés absents depuis 1 an et demi).
On va ainsi suivre la vie de cette famille par l’intermédiaire de Mason, du petit garçonnet rêveur et amateur de virée en vélo, marqué par les multiples déménagements et tentatives de sa mère à reconstruire sa vie amoureuse, jusqu’au jeune adulte édifiant sa propre personnalité et tentant de trouver sa voie.
Largement puisé dans le parcours personnel de Richard Linklater (lui – même Texan, enfant d’un couple divorcé et brinquebalé dans d’incessants déménagements), Boyhood s’inscrit dans une histoire fleuve, où la vie d’un personnage s’écoule littéralement sous nos yeux. Le film est habilement connoté de références permettant de marquer les époques : mouvements culturels populaires (comme la Harry Potter mania), évolution des jeux vidéo, bande son fourmillante aux morceaux immédiatement reconnaissables … Et le fait d’avoir pratiqué le tournage sur plus d’une dizaine d’années permet une approche encore plus réelle du sujet.
Pour cela, il est essentiel de ne pas envisager cette période de tournage hors du commun comme une espèce de performance (simplement utile à faire parler d’un long – métrage) mais comme un indispensable processus de fabrication.
Si pendant ce laps de temps, Linklater continuait de mener à bien d’autres projets (les Before sunrise et sunset, A scanner darkly, Rock academy, Fast food nation …), de 2002 à fin de 2013, il réserva chaque année une période au tournage de Boyhood. Réunissant les mêmes acteurs (et la même équipe technique), il profita ainsi d’une complicité solide établie au fil du temps et des changements physiques de ses comédiens.
De ce socle de véracité associé à un récit tendre, quelquefois grave mais souvent drôle, éclos un film unique, où un réalisateur traite de petits riens, des rapports familiaux, de la crise d’adolescence … En un mot, l’existence d’un gamin que l’on voit grandir (dans tous les sens du terme) en temps réel.
Ellar Coltrane incarne ce petit Mason qui devient grand de façon totalement bluffante, tout comme Lorelei Linklater (fille de son père, qui trouva bien pratique d’embaucher sa propre progéniture) celui de Samantha, sa sœur. Tous deux sont confondants de naturel, un naturel qui, notamment dans la période où tous deux ne sont que des enfants, interfère (de façon très bénéfique) avec leur jeu.
Beaucoup de personnages interviennent dans Boyhood mais faire mention de chacun s’avère impossible. Aussi je me contenterais de mentionner la contribution de Patricia Arquette, parfaite dans le rôle de cette mère (souvent) célibataire et un peu déboussolée, comme la très chouette composition d’Ethan Hawke (fidèle de Linklater, il a joué dans beaucoup de ses films) qui sonne exactement juste.
Tant au niveau du travail de longue haleine qu’il aura demandé qu’à celui de la recherche de financeurs assez suicidaires pour s’investir dans une pareille aventure, le chemin de Boyhood n’a dû ressembler que de très loin à un charmant sentier parsemé de pétales de rose.
Au final, le film est une réussite. Alors, si vous avez autour de vous un ado en pleine crise existentielle, un parent au bord de la crise de nerfs ou tout simplement quelqu’un à qui vous cherchez à faire du bien, c’est très simple, emmenez le voir Boyhood.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio