Pressler fête ses 90 ans à Toulouse !
Il s’agissait d’un concert anniversaire, car le pianiste fondateur du Beau Art Trio venait fêter à Toulouse ses 90 années. Beaucoup se souvenaient du concert de 2012 réunissant les mêmes artistes pour une merveilleuse interprétation du 17° concerto de Mozart, espérant un nouveau miracle.
Après une ouverture d’Egmond d’une beauté romantique passionnée qui avait un souffle épique lyrique en des nuances subtiles et des phrasés racés, nous avons vu arriver la frêle silhouette de Pressler au bras du chef retrouvant cette rare connivence entre ces deux fabuleux musiciens. Le quatrième concerto de Beethoven est hors normes, débutant par le piano solo. Pressler déguste cet honneur et joue avec une extraordinaire sensibilité cette introduction. L’orchestre lui répond avec la même fine musicalité dans des nuances exquises qui se développent avec beaucoup de naturel. L’entente entre le pianiste et le chef va ensuite se développer avec une écoute mutuelle rare. La manière dont Tugan Sokhiev prend soin du musicien si délicat, qui lui même écoute et opine de la tête a bien des moments purement orchestraux, est aussi belle à voir qu’à écouter. Nous sommes devant une complicité partagée par tout l’orchestre. Le premier mouvement contient des moments chambristes délicieux et le souffle qui porte les phrasés de l’orchestre est royal. Une même recherche de couleurs et de nuances habite chef et pianiste. Le dialogue est absolument savoureux. Les doigts de Pressler gardent une belle jeunesse jouant tout en souplesse et jamais en force. Ce qui frappe c’est l’admirable équilibre entre les deux mains avec une main gauche très présente et souple. Durant la grande cadence Tugan pose la baguette comme pour mieux écouter le vieux sorcier du beau son. Le deuxième mouvement, si inhabituel, est de pure poésie avec cette imploration irrésistible du piano et un orchestre d’ord inflexible, qui fond devant tant de musicalité sous les doigts du pianiste devenu véritable poète. Comme la musique réunit les âges en abolissant toute idée de génération ! Le respect mutuel, l’écoute émue, la construction des phrasés et des nuances dépasse tout ce qui avait été espéré. Chacun est conscient de vivre un très grand moment de musique. Le troisième mouvement caracole avec élégance. Les dernières fusées sont lancées avec joie. Le public exulte et fait une véritable ovation au vieux magicien comme au chef si doué. La sollicitude devant les déplacements précautionneux du pianiste est une vraie marque d’amitié et les tentatives du pianiste pour saluer de face le public main dans la main avec le chef, est belle à voir. Devant la passion du public qui exulte Menahem Pressler offre un nocturne de Chopin d’une liquidité de paysage lunaire.
Après l’entracte c’est le long poème symphonique, une vie de héros de Richard Strauss, qui permet à l’orchestre de briller de mille feux. Les solistes sont parfaits et les pupitres rivalisent de beauté sonore. Geneviève Laurenceau, qui a des moments dignes d’un concerto pour violon, sait dessiner le portrait de la belle Pauline. Tugan Sokhiev construit le propos avec exactitude, chaque partie imbriquée dans la suivante avec une perfection horlogère. La rutilante orchestration de Richard Strauss est rendue avec bonheur. Les nuances sont patiemment creusées, la précision rythmique obtenue par Tugan Sokhiev donne sinon de la légèreté à cette partition parfois grandiloquente, du moins un souffle revigorant.
Menahem Pressler venu écouter son jeune collègue ne semble pas cacher son plaisir.
L’ovation du public pour le chef et son magnifique orchestre est massive. Chacun est conscient d’avoir vécu un grand moment de musique avec le parfait accord entre un pianiste monumental, un chef magnifique et un orchestre superlatif.
Hubert Stoecklin
Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 5 décembre 2013. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Egmond, ouverture en fa mineur, op.84 ; Concerto pour piano et orchestre n°4 en sol majeur, op.58 ; Richard Strauss (1864-1949) : Ein Heldenleben, op.40 ; Menahem Pressler, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.