Le deuxième souffle
Après avoir passé les quarantièmes rugissants de sa première année à la tête de la fusion du Théâtre Sorano et du théâtre Jules Julien, Ghislaine Gouby aborde avec énergie, ténacité et enthousiasme les eaux plus calmes de sa deuxième année. Certes comme d’habitude, comme une sorte de mauvais bizutage, elle fut accueillie souvent à bras fermés par ses collègues toujours irrités de voir débarquer « une étrangère » au sérail toulousain.
Le soutien indéfectible de la Mairie l’a réconforté et encouragé à élargir sa mission culturelle : établir des rencontres multiculturelles alliant théâtre, poésie, chansons, cirque, cabaret, musique… en tenant compte de l’histoire et de la spécificité des deux théâtres.
Comment oublier qu’en mai 2014 le théâtre Sorano fêtera son cinquantième anniversaire de création dans l’ancien auditorium du Muséum d’Histoire naturelle de la ville, sous l’impulsion visionnaire du cher Maurice Sarrazin, pionnier de la décentralisation théâtrale en France.
Héritière de ce beau passé, Ghislaine Gouby poursuit l’œuvre d’ouverture et de diversité nous donnera à voir et à entendre près de 40 spectacles dont 8 créations. Tenant compte des atouts et des faiblesses des lieux, plateau plus que modeste, jauge de moins de 600 places, machinerie réduite, mais acoustique unique faisant en particulier du Sorano un véritable écrin où le rapport scène-salle est idéal et a enthousiasmé Jean-Louis Trintignant, les spectacles sont répartis sur les deux théâtres avec une certaine spécialisation du théâtre Jules Jullien en spectacles pour la jeunesse, et aussi comme lieu de plateau privilégié pour les répétitions et offrir des résidences.
La volonté de faire découvrir les différentes esthétiques actuellement représentées en France, et aussi de nouer des partenariats avec les moments forts de la vie culturelle à Toulouse : Détours de chant, Marathon des mots, le Capitole, Rediffusion ce certains spectacles des autres théâtres comme le Grand Rond, Le Hangar, Le Pont Neuf, ont irrigué la programmation.
Les artistes toulousains sont fortement représentés, avec 38 propositions sur 88 représentations : Bertrand Betsch, Nathalie Sauzes, le cirque Farouche, Coraline Lamaison, Orlando…
Bien sûr un lieu théâtre se doit de faire une part belle aux grands textes classiques et Racine avec Bérénice, Beaumarchais dans sa trilogie, Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été.
Mais il faut aussi des grands noms pour compenser les frustrations des non-Parisiens privés de grandes vedettes et de lumière.
Elles seront bien présentes au Sorano : Charlotte Rampling lisant Marguerite Yourcenar et le rare Constantin Cavafy, discret poète grec avec son tas de secrets, Jane Birkin lisant bien sûr Serge Gainsbourg, Isabella Rossellini et son bestiaire enchanté et fort coquin où dame nature exalte le mariage pour tous, André Dussolier et sa bibliothèque idéale…
La Comédie Française sera présente trois fois avec des spectacles autour de Pierre Desproges, puis accompagnant Jane Birkin et Isabella Rossellini. Plus déjanté, les Chiens de Navarre viendront mettre leur violente folie sur scène.
La chanson sera à l’honneur avec Bertrand Belin, Bernard Betsch et Michel Hamon, inusable évangéliste de Léo Ferré dont on célébrera les dix ans de sa disparition.
Au lieu de tout énumérer, autant parler de nos coups de cœurs plus secrets :
– Lou Broquin et ses drôles de marionnettes.
– L’immense écrivain Spiro Simone dans sa pièce Nunzio écrite en dialecte sicilien avec Olivier Jeannelle.
– Cosmos d’après Witold Gombrowicz mis en espace numérique par Joris Mathieu.
– Nathalie Nauzes et ses Démons très noirs du grand écrivain suédois Lars Norén.
– Benjamin Britten et le délicieux Petit Ramoneur.
– la musique étrange de Samuel Sighicelli.
Ainsi se présente une saison originale et attrayante, hors des sentiers battus et rebattus, qui souvent pavent de bonnes intentions, jusqu’à l’écœurement, les saisons théâtrales en province.
Cette saison pleine de diversité et d’attraits va nous surprendre et toujours la littérature règne en majesté sur les propositions.
Le deuxième souffle est bien là, le rodage est terminé, vogue le navire !
Gil Pressnitzer
Théâtres Sorano – Jules Julien