Voilà des semaines que j’entendais parler de ce documentaire sans avoir la possibilité d’y jeter le moindre coup d’oeil. En effet, pour de sombres questions de distribution aléatoire et de copies en nombre insuffisant, Sugar Man était jusque – là invisible sur Toulouse (et comme dans bien des villes de province à priori). Mais le circuit des cinémas indépendants faisant (tant) bien (que mal) son travail, Sugar Man a pu se frayer un chemin à travers la jungle de films hollywoodiens (sans vouloir me vouloir me la jouer fayote ou me faire accuser de conflits d’intérêts, je remercie des gens comme ceux de l’Utopia et de l’ABC de permettre à ce genre de cinéma d’exister).
Dans son premier documentaire, Malik Bendjelloul part sur les traces d’un mystérieux personnage : Sixto Diaz Rodriguez.
Au début des années 70, ce musicien de Détroit sort un album, Cold Fact (au titre emblématique Sugar Man), qui rencontre un succès très confidentiel aux Etats – Unis alors que son créateur est assimilé à des auteurs de la trempe de Bob Dylan. En parallèle, il connaît un triomphe phénoménal en Afrique du Sud où ses chansons deviennent l’étendard d’une jeunesse anti – apartheid et où il vend plus d’albums que les Beatles et les Rolling Stones. N’ayant aucune connaissance de ce succès ni de son rôle de catalyseur dans les mouvements civiques, Sixto Rodriguez retourne à l’anonymat
Dans les années 2000, lors d’un voyage au Cap, Malik Bendjeloull rencontre Stephen Segerman (disquaire) et Craig Bartholomew – Strydom (journaliste musical) qui lui racontent l’histoire du musicien et de leurs recherches pour retrouver sa trace. A la suite de ces rencontres, le réalisateur décide de faire un documentaire, tant l’histoire est incroyable.
Naviguant de l’Afrique du Sud aux Etats – Unis, Malik Bendjelloul entame un périple pour retrouver les témoins de l’époque où Sixto Rodriguez fut découvert dans un bar enfumé de Détroit et enregistra son 1er album dans la foulée. Etrange personnage, véritable poète des rues, donnant des rendez – vous à l’intersection de deux avenues, son producteur de l’époque confesse ne pas savoir s’il possédait seulement d’endroit où dormir…
Illustré de photos d’archives (rares et parfois en mauvais état)
ou de petites séquences d’animation,
le documentaire retrace les tribulations de ce musicien hors du commun, au parcours recouvert de zone d’ombre (la légende voulant qu’il soit mort sur scène en s’immolant ou en se tirant une balle dans la tête, selon les sources).
Il met également en exergue la ténacité joviale de passionnés,
prêts à toutes les quêtes pour retrouver et réhabiliter leur idole.
C’est aussi le parcours d’un homme à la drôle de dégaine, poète underground aux morceaux engagés, devenu vieux à présent,
qui sortit seulement 2 albums dans toute sa carrière (enfin presque 3, ce dernier étant inachevé) et qui, la reconnaissance lui faisant faux bond, retourna sans aucune amertume à une vie civile (pendant près de 40 ans, il fut ouvrier – journalier, habitant la même maison, s’investissant dans la vie de sa ville – en se présentant plusieurs fois à la mairie – et s’occupant de l’éducation de ses 3 filles).
Lorsque le succès fut enfin au rendez – vous (vous découvrirez comment – histoire là aussi hautement improbable ! – , les recherches menées par les compères sud – africains finissant par aboutir un beau jour de l’année 1997), Sixto Rodriguez ne changea pas de vie, reversa la quasi – totalité des sommes qu’il perçut, se contentant à ce jour de se produire en concert dès que l’opportunité lui en ait donné.
De cette trajectoire, certains seraient bien avisés de s’en inspirer …
A tous ceux qui pensent qu’une chanson n’est pas en mesure de changer la course du monde, à tous ceux qui sont persuadés du contraire, à tous les musiciens qui galèrent et qui envisagent de balancer leurs amplis, à tous les fans de la première heure, les indécrottables optimistes, les réfractaires du hasard, à tous ceux qui pensent qu’un soupçon d’humanité existe encore quelque part, cherchez la salle la plus proche qui diffuse Sugar Man. Et allez – y, cela vous fera du bien.
En vous remerciant.