Des arbres, des grenouilles, des chauves-souris, une théière et une bergère Louis-XV, un feu et une arithmétique, un éoliphone, une râpe à fromage, comment monter L’Enfant et les sortilèges ?
En osant l’impossible, en réalisant un rêve. En faisant confiance à des artistes débutants. Ce que font les directeurs du Théâtre du Capitole et du Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, sous l’impulsion du baryton Jean-Philippe Lafont.
Le tout jeune metteur en scène spect-acteur Alexandre Camerlo métamorphose chaque spectateur en Enfant plongé dans l’illusion, la magie, l’épouvante, dans un théâtre de surprises, d’effets baroques, de dédoublements, de mouvements cinématographiques. La libellule virevolte au-dessus de la scène, chouette et rossignol sont perchés dans les loges d’avant-scène. Les déplacements des animaux sont confondants de naturel : sauts et progression des rainettes, hésitations du rossignol, félinité des chats.
Juchée sur une crinoline gigantesque, l’autorité dominatrice de la Mère (Deborah Tardy) devient ombre diabolique, doigt inquisiteur, menaçant. Cette main se lève, interroge de l’index.
L’horloge comtoise (Omar Hasan) sonne avec l’accent argentin tandis que le sabir anglo-asiatique est versé avec grâce par le service à thé dansant de François Almuzara et Deborah Tardy.
Bondissant hors de la cheminée, le feu crépite des vocalises d’Anaïs Constans, flammèches brillantes jusqu’au dernier sursaut, replié dans l’âtre, sous la cendre.
Admirablement préparés par Rolandas Muleïka, les Pâtres et Pastourelles (chœur d’adultes du CRR), arrachés de la tenture à petits personnages que l’Enfant a lacérée, transmettent un chagrin de ne pouvoir plus se joindre, tendre histoire déchirée, qui va au cœur. Dans le jardin, ils seront Bêtes et Arbres qui accusent puis pardonnent. Étrangement, les sauts et brasses de grenouilles leur siéront à merveille alors les déplacements des bergers semblent empruntés et confus.
La Princesse (délicate Céline Legouix) sort d’un livre déchiré – sacrilège de l’Enfant, un livre de Colette.
Les chiffres en rugbymen (les enfants de la maîtrise du CRR) tentent en locomotive Le voyage à travers l’impossible monde de l’Arithmétique (Hugo Tranchant qui peine, satanées maths ! à passer la rampe dans le déchaînement des problèmes de robinets).
Les chats (Marlène Moly, Xavier Luc – qui à n’en point douter furent chats dans une autre vie), s’étirent, minaudent, jouent et se caressent dans d’irrésistibles miaulements.
La fantastique transition de l’orchestre, hululements de chouette, cris d’oiseaux, coassements des rainettes, fait apparaître le jardin éclairé par la pleine lune, lune de Colette, lune de Méliès.
Les arbres dont les silhouettes noires se découpent sur le ciel deviennent monstres et sorcières aux doigts crochus, cauchemar de la fuite éperdue de Blanche Neige dans la forêt. Pour sortir d’un mauvais rêve, il faut panser la plaie, étancher le sang. Devenir sage ?
Cécile Piovan est l’Enfant rebelle avec grande maîtrise, parfaite diction et aisance scénique face aux récriminations qui l’assaillent de toutes parts. Interventions imposantes du Fauteuil et de l’Arbre du maître de cérémonie, Jean-Philippe Lafont, étrangement moins intelligible que ses jeunes disciples. Christophe Larrieu dirige fosse (orchestre du CRR) et chanteurs avec une attention et une bienveillance palpables.
Il faut rêver de l’impossible, et l’oser.
Photos © Patrice Nin
Théâtre du Capitole, 17 février 2013
Une chronique de Una Furtiva Lagrima