Tugan Sokhiev a un répertoire bien vaste, mais il sait passer la main. Ainsi Bruno Mantovani, compositeur en résidence, a donc dirigé ce soir ce concert dans le cadre du festival Novelum.
Le début du concert a permis de déguster, dans un Allemand limpide, le très beau texte de Richard Dehmel. Le récitant, Thomas Niklos, a su avec tact et hauteur d’âme rendre cette poésie noble et bouleversante sans pathos superflu. La longue pièce lyrique de Schoenberg est ensuite le commentaire de ce poème à la gloire de l’amour dépassant le simple narcissisme pour s’ouvrir à accueillir la femme aimée et le fruit de son amour désespéré pour un autre. Pièce « facile » pour découvrir le monde de Schoenberg elle est une des plus connues du chef de file de l’école de Vienne. Tout y est lyrisme et ascension. La grande satisfaction vient de la belle sonorité de toutes les cordes, véritablement survoltées. Dans sa version pour grand orchestre à corde, ce sextuor prend une dimension cosmique. Les moments de subtile écoute entre les solistes du quatuor à corde et particulièrement les duos violon-alto, (ah la sonorité exquise de Geneviève Laurenceau !), ont été particulièrement séduisants. Ces passages entre grand orchestre et moments solistes ont été parfaitement dosés par Bruno Mantovani. Pourtant les références à Wagner et Mahler sont nombreuses dans ces pages. Rien que le début évoque le prologue de l’Or du Rhin, plus tard c’est Parsifal qui est imaginé ou le lyrisme de la deuxième symphonie de Mahler. Le parti pris de direction limpide et froide rend hommage à la perfection formelle qui rencontre la perfection instrumentale des cordes de l’orchestre du Capitole, sans l’émotion poétique attendue.
Le concerto pour Clarinette basse de Mantovani, daté de 2003, est créé à Toulouse en début de deuxième partie du concert. Cette partition veut rendre hommage à Schubert, plus exactement au piano des lieder de Schubert. Avouons que les références étaient bien cachées pour votre serviteur, amoureux de Schubert et ses lieder… pas plus la forme que l’esprit, ne nous ont rappelé le compositeur de lieder si prolixe… Cette partition virtuose demande des trésors d’intelligence musicale au soliste. L’orchestre lui, semble plus discrètement sollicité, même si les échanges entre le soliste et les groupes d’instruments sont parfois intéressants. Toutes les « modernités », datant pourtant des expérimentations du XX° siècle, sont utilisées. La capacité percussive des clefs, l’utilisation du souffle pour claquer les sons, les quarts de tons, l’utilisation des harmoniques. Le jeu d’Alain Billard est sidérant de calme et d’assurance entre toutes ces possibilités de l’instrument. Les sonorités variées sont fascinantes, mais l’impression générale est que la beauté du son noble et franc de l’instrument n’est pas suffisamment présente, alors que justement c’est probablement l’un des éléments les plus schubertiens. La violence et la dépression générale émanant de l’oeuvre n’est pas non plus une caractéristique de notre cher Frantz Schubert, qui dans les moments les plus sombres de son existence n’a cessé de faire bonne figure. Les moments les plus riches nous ont semblé ceux ou les harmoniques de la clarinette basse rencontraient celles d’autres familles de l’orchestre, tout particulièrement les cuivres.
Pour terminer le programme c’est une partition rarissime de Bartok que le public a pu découvrir. Ce prince de bois est une partition de ballet réduite ce soir en sa suite pour orchestre. Le souci du chef n’a jamais été de rendre à ces pages leur dimension théâtrale ou dansante. La mise en place a été impeccable, les nuances assourdissantes ou subtiles, mais jamais la moindre intention dans cette direction centrée sur la beauté du son. Mantovani n’est pas un chef au sens de celui qui raconte, donne la direction d’une œuvre. Il sait mettre en place une très belle alchimie de sons mais sans vraiment s’occuper du sens à leur donner. C’est donc une première découverte de cette riche partition qui sous une autre baguette (suivez mon regard) auraient su mêler cette perfection formelle au théâtre et à la danse, contenus dans cette musique faussement grotesque. Il y a du drame là-dedans, celui d’une époque de guerre tragique et d’un compositeur abattu, car la partition date de 1914 à 1916. L’orchestre a sonné merveilleusement et a été d’une virtuosité parfaite, les percussions tout particulièrement avec un tout jeune timbalier sidérant de vivacité. L’orchestre du Capitole a su assurer pleinement les exigences de la partition et se montre digne de son classement parmi les trois meilleurs orchestres Français paru dans Figaro. Reste en Bruno Mantovani, un chef en devenir et un compositeur déjà impressionnant. Le public a été généreux dans ses applaudissements prouvant sa capacité à revoir cette musique, au final pas si moderne à ses oreilles.
Publiée sur classiquenews.com
Hubert Stoecklin