La voix royale
La soprano colorature américaine Julia Kogan, d’origine ukrainienne, parcourt le monde, les salles de concert et d’opéra où elle endosse les rôles les plus périlleux, chante les partitions les plus diverses. Après uneReine de la Nuit au Canada, elle fait escale dans la région Midi-Pyrénées qu’elle a d’ailleurs choisie comme port d’attache. Invitée avec l’orchestreLes Passions, dirigé par Jean-Marc Andrieu, aux Rencontres des Musiques Anciennes organisées par Odyssud, elle animait le 20 avril dernier un concert consacré au bouillonnant Vivaldi et titré « Vivaldi Fioritura », à l’image de l’album CD qu’elle a enregistré.
Musique virtuose, musique du bonheur, l’immense production du prêtre roux de Venise investit aussi bien le domaine profane que le domaine sacré, et avec autant de bonheur le concert que l’opéra. Julia Kogan choisit ce soir-là un bouquet d’airs aussi virtuoses qu’expressifs, extraits des quelques ouvrages qui émergent d’un riche corpus dont l’essentiel reste encore à découvrir. L’art du chant de la cantatrice ne saurait être mieux adapté à ce riche et pétillant répertoire. Un timbre lumineux mais avec du corps, une agilité vocale sans faille, un vibrato aussi léger que chaleureux, une fine musicalité, et un sens aiguisé de l’expression composent un talent original et attachant. La très belle cantatrice excelle aussi bien dans la nostalgie que dans la fureur, dans la légèreté que dans la douleur.
L’air « Ben conosco » extrait d’Arsilda Regina di Ponto ainsi que « Squarciami pure » de Il Tigrane ouvrent la soirée sur l’agitation fébrile d’une écriture tout en rupture que l’agilité de la voix aussi bien que la fluidité orchestrale traduisent avec finesse. Suit l’aria pyrotechnique « Alma opressa » de La fida Ninfa qui sollicite la volubilité vocale la plus extrême. Julia Kogan y déploie une colorature qui équilibre avec art le staccato et le legato. Dans un autre bouquet d’airs extraits de Il Bajazet, s’épanche toute la palette expressive de la cantatrice, de la profonde nostalgie de « Sposa, son disprezzata » à l’effervescence vocale de « Anche il mar », en passant par la grâce mutine de « Nasce rosa lusinghiera ». C’est avec le très fameux motet « In furore », seule pièce sacrée de la soirée que Julia Kogan conclut son programme. On admire autant le déploiement fastueux des redoutables coloratures des mouvements extrêmes que la charge émotionnelle du touchant « Tunc meus fletus ».
Deux pièces instrumentales accompagnent ce récital. Jean-Marc Andrieu joue en soliste le très célèbre concerto « Le tempesta di mare ». Virtuose de la flûte à bec, le directeur de l’orchestre Les Passions y allume un véritable feu d’artifice. Dans l’étonnant concerto pour deux violons et violoncelle extrait de « L’Estro Armonico », les musiciens franchissent avec panache les invraisemblables chausse-trapes instrumentales dont Vivaldi a truffé cette originale partition pleine de surprises et de fougue fébrile. Deux arias supplémentaires sont réclamées et obtenues avec bonne humeur et… passion.
Ce concert coïncide avec la célébration du 25ème anniversaire de la création, autour de Jean-Marc Andrieu, de l’orchestre Les Passions, initialement nommé Orchestre Baroque de Montauban. Une sympathique réunion commémorative a rassemblé, à l’issue de cette soirée, les amis et les partenaires de cet ensemble justement renommé auquel tous les mélomanes souhaitent un bel avenir musical.
Serge Chauzy
Une chronique de Classic Toulouse