Joseph Carles, après avoir été longtemps élu municipal et premier adjoint délégué aux finances et à la culture de Blagnac, a ceint l’écharpe tricolore le 5 octobre dernier après la démission de Bernard Keller, maire de la ville durant 21 ans. Un aboutissement logique pour ce Blagnacais de toujours, fidèle serviteur d’une cité où il a grandi et qu’il a vu grandir. Avec le nouveau quartier Andromède, Odyssud a été un des projets d’envergure qu’il a suivis lors de ces trente dernières années.
Nul n’était donc mieux placé que lui pour raconter les origines, les premiers temps et l’histoire de ce lieu ô combien emblématique pour la commune dont il est le premier édile.
Vous n’étiez pas encore élu de la ville de Blagnac à l’époque mais aviez-vous suivi tout de même, d’une manière ou d’une autre, la genèse et la réalisation du projet Odyssud avant son inauguration en 1988 ?
Je n’étais pas élu en effet mais je faisais partie des consultants qui ont participé à cette opération. Curieusement, l’idée de départ, c’était une maison des jeunes et de la culture. On peut constater aujourd’hui de quelle manière ce concept initial a évolué pour aboutir à Odyssud… Il s’agissait d’avoir un espace permettant une expression culturelle à Blagnac. Au fur et à mesure des discussions est apparue une autre possibilité, celle d’ajouter à ce projet une offre culturelle de qualité. Il est pour le moins étonnant de voir ce qu’était le point de départ de la réflexion et l’équipement réalisé in fine.
Une fois que la finalité du projet et de ses contours a été claire, quels ont été les objectifs et les ambitions fixés au nouvel équipement Odyssud ?
L’objectif était de créer un établissement multiculturel. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons aujourd’hui la médiathèque, la ludothèque et un espace d’entreprises autour de la grande salle de spectacles. Il y avait le souhait d’avoir une mixité des usages et un pôle culturel blagnacais réunissant des activités culturelles et éducatives ainsi qu’une programmation de spectacles. C’était le sens du projet. Un consultant, avec lequel j’ai été amené à collaborer par la suite, a été sollicité pour travailler dessus et pour organiser cette pluralité d’activités.
Est-ce qu’il y avait aussi dès l’origine, étant donné la taille de la grande salle de spectacles, la volonté d’en faire une vitrine, un emblème pour la ville de Blagnac ?
Non, les choses se sont faites petit à petit et je ne pense pas que la municipalité de l’époque ait « prémédité » ce qu’allait devenir cette salle. Odyssud s’est fait au fil du temps et d’une réflexion qui a continué d’évoluer année après année. L’établissement est devenu ce qu’il devait être sans que personne n’ait imaginé un tel aboutissement lors de sa conception.
À sa création, le modèle économique d’Odyssud était-il déjà ce qu’il est actuellement ou sensiblement différent ?
Je peux en parler d’autant plus facilement que j’ai la fierté d’avoir annoncé le coût de l’équipement avant qu’il ne sorte de terre. C’est la mission qui m’avait été confiée en tant que consultant. Les quatre premières années furent, sur un plan budgétaire en tout cas, conformes à la prévision qui avait été faite. Le modèle économique est clair depuis le début et axé sur une participation financière de la ville de Blagnac. Il apporte la démonstration qu’un équipement culturel comme Odyssud peut être géré en régie. On n’a pas besoin forcément d’avoir recours à des montages juridiques très sophistiqués dès lors qu’il y a une responsabilité assumée par ceux qui administrent le lieu et une véritable intention annoncée et confirmée par la ville quant à son soutien financier.
Odyssud… Pour la petite histoire, comment ce nom a-t-il été trouvé et par qui ?
Il y a eu bien sûr un travail de réflexion mené pour trouver un nom au bâtiment. L’idée autour de laquelle nous réfléchissions était celle de l’aventure. C’est Henry Long qui a conduit ce groupe de travail d’où a émergé la notion de voyage, d’odyssée. Ce devait être le voyage dans le sud d’où le nom d’Odyssud finalement retenu. Il n’est pas anodin de se rappeler que la première symbolique d’Odyssud, c’était le bateau de l’Odyssée et de l’odyssée dans le sud.
Comment se sont passées les premières années d’Odyssud ? Y a-t-il eu rapidement une adhésion des spectateurs, un succès auprès du public, ou au contraire une période de doute voire de remise en question de la pertinence du projet ?
Quand on voit ce qu’est Odyssud aujourd’hui, sa réussite, il faut bien reconnaître qu’il n’en a pas toujours été ainsi. C’est vrai, il y a eu une période de doute lors de la toute première direction de l’établissement. À ce moment-là, j’accompagnais encore la ville à titre de conseiller et avec son directeur général des services, Jacques Pagnac, nous avions cherché ce que devait, ce que pouvait être le positionnement d’Odyssud. C’est là qu’a été faite la proposition au maire de l’époque, Jacques Puig, de recruter Henry Long en tant que directeur de l’établissement. Nous avons ensuite travaillé avec ce dernier pour définir ce que pouvait être le format d’Odyssud. Il y avait un espace de propositions culturelles à prendre dans ce qu’on appelait alors le Grand Toulouse. Très logiquement, nous avons pensé qu’il fallait occuper cet espace-là. Peu à peu, Odyssud a trouvé sa place dans l’offre culturelle de l’agglomération toulousaine.
Quels ont été les grandes étapes et les tournants de ces trente ans d’histoire d’Odyssud ?
Le grand tournant, c’est incontestablement l’arrivée d’Emmanuel Gaillard en 2000. Jusqu’à cette date, les fondamentaux ont été installés, mis en place, mais il fallait grandir encore en s’appuyant sur cette base. C’est Emmanuel Gaillard qui a pris la dimension de ce qu’on pouvait faire à Odyssud et son arrivée à la direction de l’équipement a été déterminante.
La première étape a été un travail avec les comités d’entreprise, sur la billetterie et sur la promotion d’Odyssud qui s’est affirmée progressivement. Puis il y a eu la reconnaissance d’une part de plus en plus large du public pour la programmation proposée. C’est là qu’Odyssud a fait son nid dans l’offre culturelle métropolitaine, lorsque le public y a trouvé ce que ne lui offraient pas les autres salles de la métropole. Depuis, cette tendance n’a fait que s’amplifier et se consolider autour de fondamentaux pluridisciplinaires, sans négliger l’ouverture à la nouveauté. Je crois pouvoir dire qu’Odyssud repose aujourd’hui sur des fondations très solides.
D’autre part, il faut évoquer un aspect qui concerne plus généralement la politique culturelle de Blagnac. Il est évident que lorsqu’on a un équipement emblématique tel qu’Odyssud dans une ville de cette taille, il est difficile pour les autres services culturels de trouver leur place. À un moment, on a pu se demander s’il y avait une vraie politique culturelle à Blagnac alors que celle-ci est très riche, justement. Mais elle était occultée par Odyssud, ce qui était un peu fâcheux. Constatant cela, nous avons fait en sorte que le partenariat entre la politique culturelle de la ville et Odyssud soit réaffirmé : partenariat avec le conservatoire municipal, avec la ludothèque et la médiathèque. Tout ça fait que nous avons pu instaurer un véritable travail collectif, un cercle vertueux dans lequel chacun a pu prendre sa place autour de cette salle de spectacles exceptionnelle.
Odyssud, en dehors de la dimension pluridisciplinaire très affirmée de sa programmation, unique à ce point dans la métropole, n’est pas qu’un lieu de diffusion mais aussi un lieu de création et de résidences de création.
Là aussi, il y a eu une impulsion qui existait avant son arrivée mais qui a été largement amplifiée par Emmanuel Gaillard. En matière de résidences de création, il y a eu éOle, Les Éléments et d’autres compagnies. De la création est donc réalisée à Odyssud, ce qui participe sans doute au rayonnement de cet équipement. Lorsque nous présentons de beaux spectacles qui sont issus de résidences dans notre salle, c’est une vraie fierté parce que ça prouve que nous pouvons donner à des artistes les meilleures conditions pour s’exprimer.
Est-ce qu’à un moment donné, vous avez pu vous sentir dépassés par le succès d’Odyssud et avoir des craintes par rapport à ça ?
Effectivement, compte tenu du succès rencontré, la tentation aurait été de multiplier les créations, ce qui aurait été un risque. Dès le départ, j’avais averti et mis en garde Jacques Puig, maire de Blagnac lors des premières années d’Odyssud, pour qu’on évite d’avoir un espace de création, ne me sentant pas capable de faire une projection budgétaire si l’on développait cette activité. En nous lançant là-dedans, nous pouvions partir d’un budget de trois millions d’euros et finir à vingt-cinq millions… Il y a eu alors ce principe de prudence d’avoir en résidence des compagnies plutôt que de supporter tout le financement de la création. La tentation bien compréhensible d’un directeur d’établissement culturel de faire de la création a donc toujours été limitée. Nous avons décidé de rester humbles et de ne pas prendre le risque de nous brûler les ailes. N’oublions pas que nous sommes dans une ville de 25 000 habitants qui bénéficie certes d’un budget supérieur à celui d’autres communes de taille équivalente, mais dont la dimension impose une certaine modestie.
Vous êtes maintenant officiellement maire de Blagnac après avoir été 1er adjoint et adjoint à la culture. Quelle est votre vision de ce que doit être la place d’Odyssud dans la politique culturelle que vous souhaitez pour votre ville ?
L’expression est peut-être galvaudée mais j’ai pour habitude de dire qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Comme je l’ai dit plus avant dans cet entretien, Odyssud est positionné à la fois comme un emblème, un totem de Blagnac par rapport à l’offre culturelle métropolitaine, mais entraîne aussi dans son sillage la politique culturelle à destination des Blagnacais. Notre projet aujourd’hui, c’est de diversifier la pratique culturelle des habitants de notre commune. S’ils vont à Odyssud, ils vont également à la médiathèque, au conservatoire, ils sont dans des associations, et tout doit être pris en compte et soutenu.
La deuxième volonté, c’est d’apporter aux familles qui n’y vont pas la démonstration qu’elles ont aussi leur place à Odyssud et donc d’aller chercher les publics les plus éloignés de l’offre culturelle. Je vais donner un exemple concret pour illustrer mon propos. Cette saison, pour le lancement du festival Luluberlu, nous allons offrir des places dans la salle à des familles qui se disent au fond d’elles-mêmes « ça, ce n’est pas pour nous ». Nous voulons leur montrer que c’est aussi pour elles et qu’il n’y aucune raison, aucun obstacle quel qu’il soit, pour les empêcher d’assister à un spectacle, fût-il de très haut niveau.
À la question : « Odyssud est avant tout une vitrine pour Blagnac ou plutôt une structure culturelle destinée d’abord aux Blagnacais ? », que répondez-vous ?
C’est à l’évidence les deux et je crois sincèrement que nous avons réussi cette combinaison. Il n’est pas simple d’arriver à trouver un équilibre mais je pense que nous y sommes parvenus. Le travail réalisé dans ce sens entre la direction des affaires culturelles de la ville et la direction d’Odyssud est permanent. Nous veillons à réunir régulièrement les directeurs d’établissements culturels blagnacais, à travailler avec eux et à les faire travailler ensemble. Cette réflexion collective est essentielle et nous nous devons de l’entretenir et de la préserver.
Si l’on aborde les perspectives à moyen et long terme, certaines questions se posent, entre autres celle qui concerne un éventuel basculement d’Odyssud dans le giron de Toulouse Métropole.
De fait, Odyssud fait déjà partie de ce qu’on a appelé les équipements de « centralité métropolitaine » qui ont vocation à être « métropolitains » stricto sensu en termes de propriété et de financement. Lorsqu’on regarde le détail de ces équipements de centralité métropolitaine, la plupart sont toulousains et les deux qui ne le sont pas sont blagnacais : Aeroscopia et Odyssud. Aeroscopia va être rattaché à la métropole en 2019 une fois qu’on aura fait le tarmac nord. Pour Odyssud, les choses sont différentes. Nous fêtons les trente ans du bâtiment, ce qui veut dire aussi que celui-ci, au regard de son âge, a besoin d’être rénové. Il va falloir intervenir de façon conséquente et engager des travaux importants. Inutile de dire que ça représente un gros budget, de plusieurs millions d’euros, qui va être porté par la ville de Blagnac. Je précise que chaque année, nous engageons 300 000 à 400 000 euros d’investissements dans Odyssud pour l’entretien, la lumière, l’acoustique et d’autres demandes ponctuelles.
D’ici la fin du mandat en cours, nous allons lancer toutes les études nécessaires. Une opération de cette envergure n’est pas aisée, d’autant plus que la rénovation envisagée implique qu’Odyssud sera fermé pendant une saison entière… Il y aura donc une saison « blanche » dans le bâtiment, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas une saison « hors les murs ». Nous anticipons les choses pour avoir le temps d’organiser, de mettre en place cette saison ailleurs qu’à Odyssud, la grande salle n’étant pas seule concernée puisque la médiathèque et la ludothèque le sont aussi, leurs activités ne devant pas cesser non plus. Nous réfléchissons à une alternative pour déterminer comment nous allons passer cette saison de travaux et de fermeture du bâtiment avec le moins de conséquences possibles pour les publics de ces établissements.
Pour être concret, ces travaux vont commencer dès 2018 avec le remplacement des fauteuils de la grande salle. En 2019, nous allons refaire le plancher de la scène. Le forum n’est pas à l’optimum de son utilisation actuellement et il faut imaginer la manière dont nous pourrions valoriser cet espace. D’autre part, les pratiques en matière de médiathèque et de ludothèque ont évolué. Il faut repenser notre façon de faire pour être en résonance avec les nouvelles pratiques dans ces domaines. Il s’agit d’un chantier important, dans lequel nous allons devoir être accompagnés par des cabinets d’études, avec la nécessité d’anticiper les choses dès 2018 pour être prêts à lancer les travaux en 2020 en ayant balayé au préalable toutes ces questions-là.
Cette programmation « alternative » et « hors les murs » pour la saison 2020-2021 aura-t-elle lieu entièrement à Blagnac ou pourrait-il y avoir des propositions en dehors de la commune ?
Toute la programmation n’aura pas forcément lieu sur le territoire de Blagnac même si nous allons essayer de faire en sorte qu’elle le soit le plus possible. Il se peut qu’un certain nombre de spectacles, dans le cadre de partenariats avec d’autres salles comme il en existe déjà, soient donnés dans d’autres communes de la métropole. Ça aurait l’intérêt de préparer des collaborations futures lorsque le nouveau format d’Odyssud sera en service. Je suis très attaché à la coopération dans tous les secteurs, y compris le culturel, cela va de soi.
Est-ce qu’il y a eu des études consacrées aux retombées économiques d’Odyssud pour la ville de Blagnac ou, tout du moins, sur ses conséquences en termes d’attractivité pour le territoire ?
Non, et pour une raison simple : les spectateurs d’Odyssud fréquentent la brasserie de l’établissement, prennent éventuellement un verre, mais il n’y a pas un contexte comme celui du Parc des Expositions où les gens peuvent venir plusieurs jours. Nous n’avons donc pas eu cette préoccupation, ne considérant pas que le bâtiment devait être assujetti à des retombées économiques et à la mesure de ces données. J’ai toujours été très réservé là-dessus. Quand j’entends dire que le panier moyen du spectateur du Stadium de Toulouse est de 12,46 euros, permettez-moi d’avoir quelques doutes et de sourire un peu…
En revanche, les retombées d’Odyssud en termes d’attractivité pour notre ville, c’est autre chose. Blagnac a cette particularité d’être une commune de 25 000 habitants mais qui reçoit quotidiennement environ 40 000 salariés sur son territoire. Ces Blagnacais de passage ont l’occasion de découvrir Odyssud, d’y venir et donc de devenir alors des Blagnacais un peu plus ancrés. Les partenariats que nous avons noués avec les comités d’entreprise de nombreuses sociétés aéronautiques montrent qu’on a là une offre qui ne s’adresse pas à des « étrangers » de Blagnac mais à des gens qui connaissent notre ville et la découvrent encore mieux en venant à Odyssud.
Nous allons finir avec une question au spectateur Joseph Carles, au fidèle de la programmation d’Odyssud. Y a-t-il un spectacle qui vous a laissé un souvenir marquant, qui a suscité une émotion gravée dans votre mémoire ?
Ah… il n’y en a pas qu’un, évidemment. Je citerai tout de même en premier le Slava’s Snowshow et je suis ravi qu’on l’ait retrouvé cette saison dans la programmation pour les trente ans d’Odyssud. C’est un spectacle qui m’a marqué par sa féerie, son mélange de finesse, de burlesque, de délire et d’insolite. Et ça, on ne le voit pas partout mais nous avons la chance de pouvoir le proposer à Blagnac. Ensuite, ce sont des coups de cœur du moment. Ce qu’il y a de merveilleux dans le spectacle vivant, c’est que c’est un art de l’instant. Sans toujours se rappeler qui était sur scène, demeure ce qu’on a ressenti à un moment précis. C’est l’instant que je retiens, le « bon moment ». Par exemple, L’heureux élu, une des dernières pièces que j’ai vues à Odyssud, m’a fait passer un moment délicieux. Bien sûr, il y avait sur le plateau des comédiens de grand talent mais ce qui est important, c’est le bon moment passé, la discussion que l’on a ensuite en sortant de la salle, que ce soit avec des amis ou des personnes dans le public. Ça, ça ne disparaît pas. Ça reste et c’est infiniment précieux.
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Entretien réalisé par Éric Duprix
Entretien avec Emmanuel Gaillard, directeur d’Odyssud