Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
La Grande Bouffe de Marco Ferreri
Quatre amis quinquagénaires, bourgeois aisés, décident de se réunir dans la vaste demeure familiale de l’un d’eux pour un « séminaire gastronomique ». Autour d’une abondance de nourritures et de mets les plus variés, le séjour se révèle assez vite comme une opération de suicide collectif : il s’agit de manger et de boire jusqu’à en mourir. Bien sûr, le sexe n’est pas absent. Des prostituées sont conviées aux libations ainsi qu’une voisine, institutrice de son état, aux formes généreuses. Présenté au Festival de Cannes en 1973, La Grande Bouffe constitue jusqu’à ce jour le plus retentissant scandale qu’ait connu la Croisette. Il est vrai que Ferreri ne s’est privé de rien dans la sexualité, la scatologie ou le morbide. La presse se déchaîne. Le Monde évoque « le film d’un malade ». Télérama s’étrangle et se félicite des huées du public à Cannes. François Chalais sur Europe 1 déclare que le « Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation. » La charge de Chalais ne manque pas de sel quand on se souvient qu’il écrivit sous l’Occupation dans les colonnes du journal collaborationniste et antisémite Je suis partout. Il y a d’autres façons d’humilier la France que par un simple film.
Impossible de comprendre La Grande Bouffe sans le replacer dans le contexte de transgression généralisée qui imprègne le cinéma de ce début des années soixante-dix. Violence, sexe, mépris des tabous et des interdits : un grand vent de subversion – dont témoigne au même moment l’essor du cinéma pornographique et des films d’horreur – souffle jusque dans le cinéma « mainstream ». Le Dernier Tango à Paris, Orange mécanique, Les Chiens de paille, Délivrance, Les Valseuses ou Portier de nuit (pour ne citer que quelques longs métrages emblématiques) bousculent – et séduisent – le public.
Entre Sade et Rabelais
Que reste-t-il de La Grande Bouffe plus de cinquante ans après sa sortie ? Si les scènes qui scandalisèrent tant à l’époque choqueraient moins aujourd’hui, le propos n’a rien perdu de sa puissance subversive. Au-delà d’une satire de la société de consommation, Ferreri a signé une fable aussi joyeuse que désespérée sur la condition humaine. Entre Rabelais et Sade, humanisme et nihilisme, le cinéaste italien livre un portrait féroce de bourgeois qui se rêvent aristocrates, mais qui sont surtout prisonniers de leurs tristes jouissances.
Porté par des dialogues imparables de Francis Blanche (« – C’est du congelé ? – Et alors, quand il le faut, je suis pour le progrès… »), le film est magistralement servi par des comédiens au sommet de leur art : Ugo Tognazzi, Philippe Noiret, Marcello Mastroianni et Michel Piccoli. On n’oublie pas Andréa Ferréol qui apporte la part lumineuse de cette farce provocatrice.
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