Piano aux Jacobins est bien l’une des meilleures preuves que la musique est indissociable de la respiration culturelle de Toulouse. C’est la quarante sixième édition de cette manifestation sans thème particulier, hormis celui de l’écoute d’une palette très vaste des différents styles de l’interprétation pianistique, du classique au jazz en passant par le baroque jusqu’au contemporain.
Elle se déroule du 4 au 30 septembre inclus et ce, tout en prêtant l’oreille, si l’on peut dire, à l’évolution des goûts d’un public toujours présent et d’une grande fidélité, fidélité indispensable et “chouchoutée“ au fil des ans. Récital à 20h.

Cloître des Jacobins © Axel Arno
Une écoute qui a lieu maintenant, pour la totalité des dix-huit concerts, dans le cadre enchanteur s’il en est, et ô combien chargé d’histoire, du Cloître des Jacobins. Quatre à cinq cents “fidèles“ se pressent dans la Salle Capitulaire vieille de plus de sept siècles pendant que le piano trône sur une estrade dans une chapelle attenante plus petite. Les galeries du Cloître, aussi ancien, ont été restaurées et terminées il y a une soixantaine d’années seulement et peuvent accueillir une autre partie du public. Avec précaution, le jardin peut être investi par quelques chaises les soirs de grande affluence. Fini le temps pas si lointain où il servait de cour de récréation aux collégiens tout proches fréquentant l’établissement Pierre de Fermat.
Les deux complices et concepteurs, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan sont très attachés à l’un des principes fondateurs, à savoir, l’affiche se doit de mêler toujours de jeunes artistes à des figures emblématiques du clavier. Ainsi, cette année avons-nous deux phares, que dis-je deux phares d’Alexandrie au rendez-vous avec Elizabeth Leonskaja et Richard Goode.

Fazil Say © Marco Borggreve
Mais, voyons l’ouverture du Festival. Elle est assurée le jeudi 4 septembre par le pianiste turc Fazil Say : une personnalité, et le mot est faible. Le programme va secouer. Les Variations Goldberg de J-S Bach suivie de quelques – unes de ses propres compositions.
Compositeur en effet, en prise avec l’actualité depuis plus de trente ans, Fazil Say est toujours aussi déterminé, farouche même. Il réussit le défi, de rassembler musiques occidentale et orientale d’une façon très homogène et, à faire respirer son peuple. Il créé avec passion son monde à lui, entraîne ses admirateurs et au-delà dans sa fantaisie, et leur donne espoir. Personnalité hors normes, il a imposé dès ses débuts sur scène son Mozart désinhibé, dont il a déhanché la célèbre « Marche Turque » façon jazzy et en a fait un véritable “tube“ planétaire. Fazil Say n’est pas prêt à se faire enfermer dans une norme qu’il aborde Bach ou Beethoven, ou Stravinski dans un Sacre du printemps, dit à quatre mains à l’aide d’un piano préparé dans un numéro pianistique assez étourdissant. Quant à sa propre musique, Il vous dira, se résumant, qu’elle constitue un pont entre deux cultures. « Je pense que l’une des choses essentielles de ma vie, c’est d’apporter la musique classique à un public turc et la musique turque à un public occidental. »

Elisabeth Leonskaja © Marco Broggreve
Réalisons le grand écart pour aller tout de suite à la clôture car deux soirées nous attendent avec notre pianiste Elizabeth Leonskaja, surnommée « la dernière grande Dame de l’École soviétique ». Depuis son premier récital au Cloître des Jacobins dans le cadre du Festival International de Piano en septembre 1999, la côte d’Elizabeth Leonskaja n’a pas faibli, bien au contraire, dans le cœur de ses “fans“. Régulièrement invitée, elle affiche complet.
Elle va se plonger corps et âme dans Franz Schubert mais pas que, dans du piano à quatre mains ou du solo, partageant le clavier avec le hongrois Mihály Berecz. C’est pour le mardi 30. La veille, la grande dame du clavier aura fêté son anniversaire en invitant deux de ses amis dans du piano à quatre mains, Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy.

Richard Goode © Steve Riskind
Le vendredi 19, c’est le retour du rare pianiste américain Richard Goode sur le sol français dans un programme comme on dit “en béton“ avec ses deux compositeurs fétiches, Beethoven et Schumann. On le qualifie de passionnant car dans l’un comme dans l’autre, il les rend immédiat et si humain. On attend d’être charmé et surpris par les Six Bagatelles, op. 126.
Suivront les dix-huit pièces de caractère constituant les Davidsbündlerttanzen, op. 6, œuvre du compositeur alors jeune Robert Schumann. Seule, l’imagination de Schumann pouvait être à l’origine de la « Ligue de David » – un groupe d’artistes unis dans une lutte révolutionnaire contre les structures arriérées du monde de l’art, auquel il attribuait des membres, vivants ou imaginaires. Schumann publia la première édition de ses « Danses de David » sous les pseudonymes de « Florestan et Eusèbe » – ces deux figures de la Ligue de David en qui il trouvait l’incarnation de sa double nature, à la fois impétueuse et douce. Clara Wieck, dont il sollicita la main à plusieurs reprises lors de la création, était également de la partie ; il lui dédia les danses « plus que tout ». Ces tableaux brefs et d’une grande diversité offrent un aperçu intime de l’univers émotionnel de Schumann à cette époque.

Nelson Goerner © Marco Borggreve
Fidèle parmi les fidèles au Festival, tel peut se définir le pianiste argentin Nelson Goerner que l’on retrouve en ce jeudi 11. Un programme de valeurs sûres qui lui vont si bien, puisées chez Bach, Schubert, Chopin et Schumann. Les quelques lignes qui suivent résument parfaitement ce musicien si attachant et bosseur puissance 10 : « Rien ne me serait plus terrible que de ne pas évoluer. Je suis d’un naturel curieux, j’écoute énormément de musique, me régale du jeu de mes grands prédécesseurs, pianistes ou non ; j’aime le cinéma, la peinture, la poésie, la littérature, je lis beaucoup, y compris dans les langues étrangères, fantastiques portes d’accès sur d’autres univers, et tout cela, je l’espère, nourrit mes interprétations. J’aime douter, m’interroger, j’éprouve l’envie et le besoin d’un renouvellement continu, quitte à ce que je connaisse des phases plus ou moins compliquées. »
Vous seront détaillés dans une autre rubrique, les concerts Carte blanche Jazz qui débuteront le samedi 6 avec le musicien espagnol Moisés P. Sanchez. Suivra le mardi 9, Makoto Ozone et enfin le samedi 13, le pianiste américain Micah Thomas.

David Kadouch © Marco Borggreve
Le mercredi 24, c’est David Kadouch qui souhaitera nous faire partager quelques raretés car notre toujours jeune pianiste aime surprendre et se plonger allègrement dans des transcriptions et paraphrases diverses mais il peut aller bien au-delà puisqu’il propose dans son récital de nombreuses pièces de son dernier album intitulé “Amours interdites“. En 2022, après un album consacré aux musiques qui auraient pu jalonner la vie d’Emma Bovary, David Kadouch poursuit sa quête littéraire et sensible. Ce sera un florilège de musiques qui ont servi d’exutoire, de refuge en même temps que de confidentes aux créateurs que la société empêchait alors de vivre librement leurs relations homosexuelles.
Si la vie amoureuse de Tchaïkovski ne surprend plus, il est ici à l’honneur, notamment dans un arrangement de Percy Grainger respirant une décadence plutôt talentueuse, c’est plus enfoui pour d’autres, que ce soit Francis Poulenc, ou Reynaldo Hahn et Marcel Proust, Wanda Landowska et Ethel Smyth, Karol Szymanowski et Boris Kochno et autres à découvrir. « Composer de la musique, c’est déposer son âme sur une portée, murmurer ses peurs, raconter les parfums sonores d’une histoire. » David Kadouch.

Vanessa Wagner © Lyodoh Kaneko
Le vendredi 12, c’est le retour de Vanessa Wagner, pianiste française qui, à la cinquantaine, se pare de deux qualificatifs précieux, éclectisme et modernité. Ce qui lui vaut d’être classée parmi les pianistes les plus singulières, captivantes du paysage hexagonal français, possédant une discographie étendue. Un de ses pans fait une large place à la musique américaine avec cette tendance qualifiée de minimaliste née vers 1960 avec Philip Glass et qui se prolonge depuis les années 80 avec de jeunes compositeurs qu’elle joue. Ce sera un “tout“ du bientôt nonagénaire Glass avec l’Intégrale des Études pour piano. Un compositeur qui a imprimé sa marque sur tous les genres, de la pop au hip-hop, du néoclassicisme à l’électro, dans des interprétations dirigées ou supervisées par lui. Le temps lui manquera, assurément, pour écrire toute la musique qu’il a en tête.

Célia Oneto Bensaid © Lyodoh Kaneko
Le festival a déjà accueilli Célia Oneto Bensaid qui revient ce lundi 15 dans un partenariat avec le Palazzetto Bru Zane. Et la curiosité de cette interprète est toujours aussi vive. Voilà un récital qui, construit sur le thème, “XIXè en France“, disons Paris, vous prouvera qu’il n’y a pas alors que Frédéric Chopin qui compose et joue du piano. Un certain George Bizet aussi qui n’a pas écrit que Carmen ou L’Arlésienne, mort hélas bien jeune, mais aussi Valentin Alkan, Stephan Heller, et les Farrenc, Guilmant, Cramer, Field, et autres compositeurs mais surtout redoutables pianistes comme Kalkbrenner, Moscheles, …

Jean Baptiste Fonlupt
Le piano de Jean-Baptiste Fonlupt coche absolument toutes les cases. Démonstration sera faite le vendredi 26 dans un programme qui attestera du bien-fondé de ces quelques lignes lues dans le journal Le Devoir : « À quelques reprises par décennie émerge, ici ou là, un artiste dont on ignorait tout et qui s’impose en quelques notes comme un acteur désormais essentiel de notre univers musical (…) Un choc vient de nous être réservé par un pianiste français de 46 ans, Jean-Baptiste Fonlupt. » (Christophe Huss) Ce sera avec la fameuse Chaconne de Bach/Busoni suivie des 10 Préludes de Rachmaninov et pour clore, l’immense Sonate n° 3 de Brahms.

Varduhi Yeritsyan © Charlotte Bommelaer
Plus de place, pour l’instant, pour s’attarder sur un programme interpelant d’Anna Geniushene le vendredi 5, consacré uniquement à des transcriptions ! Osons le mot : excitant ! Pendant que le lundi 8, Varduhi Yeritsyan a succombé aux charmes des ailes de lépidoptères à commencer par ceux de Bruno Mantovani. Ceux de Schumann ne voletaient pas très loin, tout comme les noirs et les blancs de Massenet. Pour se terminer par un Carnaval, celui de Schumann bien sûr.

Clayton Stephenson
Le mercredi 10, vous pourrez découvrir le pianiste américain Clayton Stephenson dans un programme allant du Jesus que ma joie demeure de Bach/ Hesse à la Rhapsodie in blue de George Gershwin. Mais encore le mardi 16, le piano d’Elisabeth Braun dans un récital très éclectique allant de Bach Jean-Sébastien pour se terminer par une effervescente Sonate n° 7 de Serge Prokofiev. Et le jeudi 18, là encore un programme qui se termine par une pièce maîtresse, en l’occurrence les Tableaux d’une exposition. Au clavier, Momo Kodama. Le mardi 23, Alexandra Dovgan, toute jeune pianiste se chargera de défendre le dicton : la valeur n’attend point le nombre des années. Que des pièces maîtresses qui se succèderont de Beethoven à Prokofiev en passant par Chopin et sa Barcarolle et Frank et son Prélude, Choral et Fugue.

Mehdi Qotbi © Gérard Rancinan
Ainsi, grâce à ce festival qui occupe tout le mois de septembre, la rentrée semblera plus douce à tous ceux qui veulent partager de superbes moments de musique, oublier les premiers soucis de l’automne, faire le plein d’émotions auditives mais aussi visuelles. Et sans restriction car jeunes et étudiants bénéficient de conditions tarifaires très privilégiées qui ne peuvent que les encourager à partager petits et grands bonheurs que leur offre le Festival. On n’oublie pas la touche d’art contemporain avec cette année, le peintre franco-marocain Mehdi Qotbi qui fut diplômé de l’École des Beaux-Arts de Toulouse, (à 21 ans !) peintre mais aussi vibrant diplomate très investi dans les relations franco-marocaines. Reconnue dans le monde entier, l’œuvre picturale de Mehdi Qotbi, empreinte de poésie, de rythme et traversée par le souffle d’un esprit de sagesse, est un univers en soi. Point de rencontre entre l’Orient, l’Afrique et l’Occident, entre l’abstraction géométrique et les élégantes subtilités des arts décoratifs arabo-islamiques, l’œuvre de Mehdi Qotbi a fasciné les plus grandes plumes de la littérature et de la critique européennes. Il a récemment été exposé à l’Institut du monde arabe avec une centaine de toiles, une rétrospective exceptionnelle par son importance.