Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Voici plus de trente ans que l’auteur du Testament français construit une œuvre dont la variété et la volonté de ne pas se répéter n’empêchent pas l’écrivain de creuser son sillon ni de revisiter ses thèmes de prédilection. Ainsi, nombre des romans d’Andreï Makine mettent en scène des personnages – parfois ordinaires mais aux destins extraordinaires – emportés par le souffle et les tragédies de l’Histoire. Aux illusions perdues, aux pertes, aux deuils qu’ils charrient dans leur sillage répondent une espérance, une réconciliation, un baroud d’honneur.
On retrouve ces motifs dans le nouveau roman de l’académicien, Prisonnier d’un rêve écarlate, où un jeune communiste français, Lucien Baert, est happé malgré lui en 1939, lors du voyage en URSS d’une délégation occidentale, par le système totalitaire. On ne dévoilera pas ici les circonstances par lesquelles Lucien Baert deviendra Matveï Belov avant de renouer, presque trente ans plus tard, avec sa propre identité et son pays…
Un revenant égaré dans la modernité
Goulag, Seconde Guerre, déstalinisation ponctueront l’existence d’un homme ayant vécu « au rythme de l’histoire russe » et de « la grande illusion messianique » communiste. Si Lucien / Matveï connut le pire de l’URSS, il connut aussi au fond de la taïga un grand amour, une vie simple et finalement heureuse avec Daria. Avec un souffle constant, Makine brasse les époques, les milieux, les points de vue. A son habitude, l’auteur de L’Archipel d’une autre vie et de L’Ancien calendrier d’un amour excelle dans la peinture de ces tableaux où l’intime se marie au collectif.
Par ailleurs, sa description de la France de la fin des années 1960 et des années 1970 n’est pas moins âpre et cruelle que celle de l’URSS stalinienne. Suivant les pas d’« un revenant égaré dans la modernité », l’ironie désabusée de Makine fait mouche. Surtout, son sens du romanesque ne se dément jamais au fil de plus de 400 pages se déroulant sur un demi-siècle. Hommage à des « existences devenues invisibles », Prisonnier d’un rêve écarlate se révèle un poignant éloge de l’insoumission face à toutes les oppressions.
Prisonnier d’un rêve écarlate • Grasset