Après la huitième et dernière représentation de La traviata, intense chef-d’œuvre de Giuseppe Verdi, le 30 avril 2023 à l’Opéra national du Capitole, ce ne sont pas moins de 9000 personnes qui auront acclamé les reprises de cet ouvrage lyrique dont le livret s’inspire étroitement de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas Fils. Autant dire que le Capitole joue à guichet fermé depuis déjà pas mal de temps. Rançon du succès ! C’est aussi le témoignage non seulement de tout l’intérêt de la programmation de Christophe Ghristi, de ses distributions, mais c’est aussi la preuve de l’attachement du public toulousain au genre lyrique. Un genre qu’il possède dans son ADN, certains interprètes du temps passé s’en souvenaient parfois douloureusement …
Cet ouvrage est le premier que Christophe Ghristi, tout nouveau directeur artistique du Capitole alors, avait affiché pour inaugurer son mandat en octobre 2018. Ces reprises se faisaient dans une nouvelle production et c’est bien sûr celle-ci qui nous est proposée aujourd’hui. Elle était signée, pour la mise en scène, de Pierre Rambert (1951-2021). Venu tout droit du Lido de Paris dont il fut de longues années le directeur artistique, Pierre Rambert, qui vient de nous quitter, nous présentait une mise en scène élégante et sobre. Dans les très beaux décors d’Antoine Fontaine et les somptueux costumes de Frank Sorbier le drame va s’accomplir dans une sorte d’apothéose finale rédemptrice qui voit le lit à baldaquin de Violetta emmener la mourante au ciel. C’était la première incursion de Pierre Rambert dans le monde lyrique. Saluons ici non seulement sa mémoire mais le travail d’un vrai professionnel de la scène.
Les reprises actuelles, réglées par Stephen Taylor, nous proposent deux distributions pour les trois principaux rôles.
21 avril 2023 – L’Alfredo d’Amitai Pati
Rosa Feola s’étant retirée de la production avant les répétitions, Christophe Ghristi a fait appel à la Tchèque Zuzana Markova pour incarner Violetta. Avec trois rôles signatures tels que Lucia, Elvira (I Puritani) et Violetta, nous pouvions légitimement nous attendre à un festival de pyrotechnies vocales. Ce ne fut pas le cas. Cette cantatrice, peut être suite à un refroidissement ou une atteinte pollinique, se « réfugia », somptueusement faut-il préciser, dans une approche vocale faisant la part belle à des sons filés et demi-teintes sur le souffle, longuement développées, qui tracent un portrait du personnage sans espoir ni avenir dès le lever de rideau. Ce fut l’occasion pour le maestro Michele Spotti, toujours attentif au plateau, de nous donner à entendre une version quasiment chambriste de cette partition, l’Orchestre national du Capitole se pliant avec volupté aux mille nuances demandées et déroulant un tapis sonore particulièrement soyeux.
A ses côtés une découverte de taille, à tous les sens du terme, avec l’Alfredo du néozélandais d’origine samoan Amitai Pati. Ce qui impressionne dans un premier temps est certainement la beauté du timbre, puis la rondeur de l’émission, enfin l’infinie musicalité dont il pare la moindre de ses phrases. Certes la voix devra s’affirmer dans le bas médium et le grave, mais en terme de bel canto c’est à une vraie leçon de chant qu’il nous convie tout au long du spectacle. On imagine avec des étoiles dans les yeux, ou du moins dans les oreilles, quel Nemorino d’anthologie il peut être d’ores et déjà. Rêvons un peu…
Depuis septembre 2020 Jean-François Lapointe est directeur général et artistique de l’Opéra de Québec, sa terre natale. C’est en habitué de notre scène qu’il nous revient. En effet, le public toulousain a eu l’occasion de l’applaudir à maintes reprises, en magnifique Pelléas et en non moins renversant interprète de Danilo (La Veuve Joyeuse), Ange (La Fille de Mme Angot) et Brissac (Les Mousquetaires au couvent), sans oublier dernièrement le Marquis de la Force (Dialogues des Carmélites). Aujourd’hui le voici en Giorgio Germont, celui dont l’égoïsme va plonger Violetta et Alfredo dans le désarroi le plus total. Toujours aussi impérial scéniquement et malgré une émission qui se tend singulièrement dans l’aigu, celui-ci donné en force fait frémir plus d’une fois, le phrasé demeure souverain.
22 avril 2023 – Michele Spotti ressuscite La traviata
Dès le prélude, nous comprenons que nous allons assister à un tout autre spectacle. Nous sentons l’orchestre prêt à bondir, les couleurs se font plus chaudes, vibrantes, présentes, le rythme et la dynamique épousent avec plus de sensualité cette histoire. La partition devient tout à coup complice immédiate, comme dans un film, de la scène et du drame. Il faut dire que l’italienne Claudia Pavone a du répondant dans un rôle qu’elle a fait sien et qu’elle interprète partout en Europe. Le soleil irradiant d’un timbre un brin métallique n’aveugle pas au point de ne pas apprécier l’approfondissement certain de ce personnage auquel elle va donner parfois, par conviction certainement, des accents véristes toujours sous contrôle. La voix est longue, homogène, l’artiste est musicienne et, in fine, sa Violetta recueillera un véritable triomphe personnel en fin de soirée.
Julien Dran nous propose un Alfredo formidablement émouvant, un portrait digne des héros d’Éric Rohmer. Ce n’est pas tout bien sûr, et même s’il n’a pas une grande habitude d’un rôle qu’il n’avait, à ma connaissance, chanté qu’une seule fois auparavant, soulignons combien sa prestation mérite de multiples éloges, notamment son phrasé, sa musicalité, un timbre lumineux et un beau contrôle du souffle. Cela est déjà considérable et laisse à penser qu’une fois quelques problèmes purement techniques réglés, audibles par de rares spécialistes du genre, Julien Dran aura tous les atouts en main pour se distinguer dans l’univers ténorisant.
Le baryton uruguayen Dario Solari est un autre habitué de la maison Capitole. Et qui s’en plaindrait car sur notre scène il a déjà fait triompher Marcello, le Figaro mozartien et Malatesta. Sa voix puissante, ronde, parfaitement timbrée jusque dans l’aigu et son phrasé royal en font un interprète de luxe.
Dans les seconds rôles, communs aux deux distributions, si l’Annina de Cécile Galois nous a semblé par trop présente… vocalement, la Flora de Victoire Bunel affiche pour sa part un physique digne… du Lido de Paris. Mais je souhaite souligner, et pourtant le rôle est plus qu’épisodique, le Docteur Grenvil de la basse géorgienne Sulkhan Jaiani. En trois mots, il expose un timbre magnifique, une belle ligne de chant (!) et la probabilité d’un creux assez exceptionnel. Il chantera d’ailleurs Osmin dans la prochaine production de L’Enlèvement au sérail au Théâtre des Champs Elysées en fin d’année !
De ces reprises, tout est à retenir, y compris le Chœur du Capitole, très présent sous la direction de Gabriel Bourgoin. Mais ces représentations auront été avant tout la découverte de Michele Spotti, un maestro qui, non seulement a dirigé la partition intégrale, avec reprises des cabalettes et répliques souvent coupées, mais nous a révélé une autre Traviata, capable de tous les excès, de toutes les flamboyances, de toutes les confidences, de toutes les émotions, capable aussi de communier intensément avec le vivant, loin des approches respectueusement muséales, ouvrant ici à cette partition un espace de liberté fantastique, démontrant par là même toute la modernité de cet ouvrage. Michele Spotti reviendra au Capitole lors de la prochaine saison pour Idomeneo et Cenerentola. Nous avons hâte ! Pour l’heure la représentation du 22 avril s’est achevée sur une standing ovation générale d’une formidable générosité. Quel public tout de même ! Pour le Capitole et son directeur artistique : mission accomplie !
La traviata entre rugby et football ! Toulouse sur ses sommets.
La représentation du 29 avril débutera à 18h et non 20h dans la salle comme… Place du Capitole sur écran géant. Ce dernier servira auparavant à diffuser à 15h la ½ finale de la Coupe d’Europe de rugby, avec le Stade Toulousain en lice et à partir de 21h, la finale de la Coupe de France de football avec le TFC. Fabuleux non ?
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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