Avec « le Monde est rond » au Théâtre du Grand-Rond, la comédienne Lise Avignon regarde le monde à hauteur d’enfant dans un texte existentialiste de l’Américaine Gertrude Stein.
«En ce temps-là, le monde était rond…». Ainsi débute « le Monde est rond » de Gertrude Stein. Un livre pour enfants et pour philosophes, publié en 1939, que Lise Avignon a choisi de porter à la scène et d’interpréter. La comédienne reprend et interprète cette première création sur la scène du Théâtre du Grand Rond, après une résidence au Théâtre du Pont-Neuf la saison dernière, suivi d’un passage au Théâtre Le Hangar. Elle connaît depuis des années cette œuvre littéraire «cubiste» – mouvement artistique dont Gertrude Stein, collectionneuse d’art et proche de Picasso, était la porte-parole.
À travers ce texte emblématique de l’écriture de Stein, Lise Avignon dit avoir retrouvé des expériences métaphysiques intimes venant de l’enfance. Pas étonnant puisque Gertrude Stein qui avait écrit ce récit pour sa petite voisine Rose, âgée de 9 ans, confiait elle-même y faire état de questionnements qui l’avaient bouleversée dans sa propre enfance, notamment sur ses peurs et son rapport au langage. «Rose aurait-elle été Rose si son nom n’avait pas été Rose?». « Le Monde est rond » est la rencontre de la solitude de l’enfance avec la créativité poétique d’une femme.
Pour son premier projet scénique aux allures de performance, Lise Avignon n’a pas choisi la facilité mais une écriture non théâtrale qu’elle porte seule et haut, avec un engagement verbal et corporel d’une grande exigence. Si le cubisme littéraire s’éprouve physiquement par ses mises en mouvement faites de lignes, de traversées, de spirales, comme autant de points de vue perçus par le public, il se fait aussi entendre par une langue rythmée, répétitive, en forme de ronde, qui raconte un présent sans cesse recommencé, pour mieux tenter d’en donner toutes les facettes du monde…
Sur le papier, les phrases de Gertrude Stein jouent de la répétition de mots simples s’enroulant entre eux, dans une quête toute enfantine de cerner les objets et les êtres entourant Rose ou se dérobant à elle. Sur scène, Lise Avignon fait s’entrechoquer différents modes de dire empruntant au slam, au rap, au chant, ou usant d’impressionnantes modulations vocales et scansions verbales qui font résonner ces multiples jeux de sons et de sens typiquement «steinien», auxquels s’ajoute un collage de boucles sonores et musicales. Corporalité, poésie, musicalité habitent un espace épuré et abstrait où la lumière se fait vivante, mouvante pour un spectacle sacrément envoûtant qui ouvre des espaces intimes et entraîne le spectateur dans un vertige de questions existentielles.
Dans le cadre de l’opération «Le Grand Rond pète les plombs », le théâtre de la rue des Potiers accueille cette rencontre de l’univers personnel d’une vraie écrivain de plateau et d’une poétesse avant-gardiste qui, à elles deux, cherchent à travers leur langage singulier à définir leur rapport au monde : «Rose is a rose is a rose is a rose…».
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Du 26 au 30 mai, 21h00, au Théâtre du Grand-Rond,
23, rue des Potiers, Toulouse. Tél. 05 61 62 14 85.