Pour la première fois, enfin à Toulouse, le pianiste Daniel Barenboim donnera un récital le lundi 15 janvier 2018, à la Halle, à 20h, dans le cadre du cycle Grands Interprètes. C’est un programme tout Debussy qui vous attend. Il vous est détaillé ci-dessous. Faut-il vous présenter ce prodige si précoce par ses dons, cet “affamé‘ de musique, ce passeur infatigable à la carrière époustouflante de pianiste mais aussi de chef d’orchestre ? L’artiste semble être partout à la fois. De plus, son héritage sur supports, disque, CD, DVD, est absolument colossal.
« Vouloir dominer une œuvre est une bêtise. La partition est quelque chose d’infini. Et nous, êtres humains, sommes “finis“. Ce n’est pas une belle phrase modeste que je prononce là, c’est la définition exacte de la chose, ou si vous voulez sa diagnose. » D. Barenboim
Claude Debussy 1862-1918
Préludes – Premier livre
Danseuses de Delphes / Voiles / Le vent dans la plaine / Les Sons et les parfums tournent dans l’air du soir / Les Collines d’Anacapri / Des pas sur la neige / Ce qu’a vu le Vent d’Ouest / La Fille aux cheveux de lin / La Sérénade interrompue / La Cathédrale engloutie / La Danse de Puck / Minstrels
entracte : 20 mn
Estampes
Pagodes / La Soirée dans Grenade / Jardins sous la pluie
Deux Arabesques
L’Isle Joyeuse
Dans l’œuvre du compositeur, le piano occupe bien une place considérable, une position centrale dans son processus de création, par son étendue et sa variété. Tant par la qualité que par la quantité, ce sont des éléments essentiellement composés dans sa période dite de maturité. Laissons témoigner un Gabriel Pierné par exemple sur la manière qu’avait le compositeur d’appréhender son instrument : « Il nous étonnait par son jeu bizarre. Maladresse naturelle ou timidité, je ne sais, mais il fonçait littéralement sur le clavier et forçait ses effets. Il semblait pris de rage contre l’instrument, le brusquant avec des gestes impulsifs, soufflant bruyamment, en exécutant des traits difficiles. Ces défauts allaient s’atténuer et il obtenait par moments des effets de douceur moelleuse étonnante. » Ce qui rejoint le comportement de Debussy qui, depuis son enfance, recherchait et obtenait une étroite communion physique avec l’instrument.
A l’époque de la toute maturité, il sera même écrit : « Il avait l’air d’accoucher le clavier. Il le berçait, lui parlait doucement, comme un cavalier à son cheval, comme un batteur de blé à ses bœufs. » Quelques remarques encore qui peuvent aider à la perception des différents morceaux interprétés ce soir : « Comment oublier la souplesse, la caresse, la profondeur de son toucher ! En même temps qu’il glissait avec une douceur si pénétrante sur son clavier, il le serrait et en obtenait des accents d’une extraordinaire puissance expressive. (…) Il jouait presque toujours en demi-teinte, mais avec une sonorité pleine et intense, sans aucune dureté dans l’attaque, comme Chopin. (…) L’échelle de ses nuances allait du triple pianissimo au forte, sans jamais arriver à des sonorités désordonnées où la subtilité des harmonies se fut perdue. Tel Chopin encore, il considérait l’art de la pédale comme une sorte de respiration».
Sur les motifs d’inspiration les plus fréquents, Vladimir Jankélévitch souligne que Debussy, au-delà de son attirance mystérieuse pour la mer, est également le musicien de l’eau morte, de la “clôture du lac“, le musicien de l’insinuante pourriture de l’automne, celui du brouillard, de la grisaille. Ce gris peut être alors la résultante de l’indétermination tonale, les tonalités s’annulant mutuellement comme la superposition de toutes les couleurs donne le gris. On remarque son attirance aussi pour les terres lointaines, l’exotisme et les voyages – voir le triptyque Estampes qui inaugure sa haute maturité pianistique : « Le piano ne quitte pas seulement la pièce où l’on étudie ou le salon, il quitte aussi la salle de concert. Il devient l’instrument poétique d’un esprit vagabond imaginatif, capable de saisir et de récréer l’âme de lointains pays et de leurs habitants, les beautés sans cesse changeantes de la nature, et les plus intimes aspirations d’un mortel découvrant comme un enfant les neuves et mouvantes merveilles de la création. »
Après les deux Arabesques, la Deuxième, qui vous fera tendre l’oreille, étant une rareté en concert – merci monsieur Barenboim – quelques mots sur la dernière œuvre du concert, à l’écriture pianistique d’une somptuosité exceptionnelle, L’Isle joyeuse, la pièce pour piano la plus développée de son auteur. Cette île, c’est Jersey, l’île des amours triomphantes de Claude Debussy et de sa seconde femme en devenir, Emma Bardac. On est en pleine euphorie solaire face à la mer resplendissante. C’est la fierté épanouie de l’affirmation virile, c’est la joie des amants enfin débarrassés de leurs masques. De cette pièce, son auteur s’écrira : « Seigneur ! Que c’est difficile à jouer… »
Quant aux Préludes qui occupent la première partie du concert, c’est un parallèle avec les Préludes de Chopin qui en donnera 24, sans aucun titre, eux. Debussy en écrira aussi 24 mais présenté en deux Livres et avec un titre pour chacun. Le titre est donné en fin de partition, ce détail précisé car le compositeur ne souhaitait pas qu’il influence l’auditeur. De plus, les titres sont plus anecdotiques, et même loufoques qu’explicatifs.
Résumé sur la carrière impressionnante du musicien polyglotte infatigable, Daniel Barenboim.
« La musique devrait faire partie de l’éducation générale au même titre que la philosophie ou la littérature et ainsi trouver sa place dans la culture de notre société… La musique est une expression de la condition humaine. »
Daniel Barenboim est né à Buenos Aires en 1942, de parents exilés, tous deux professeurs de piano. Sa mère lui donne ses premières leçons à l’âge de cinq ans. Plus tard, son père deviendra et restera son seul et unique professeur de piano. L’enfant donne son premier concert public à sept (huit ?) ans. Il évoque alors les deux critiques suscitées dans la presse. Le premier disait qu’il n’avait jamais rien entendu d’aussi beau, l’autre que c’était une honte de laisser jouer Mozart par un gamin nul…d’où le conseil de son père à cette occasion, à savoir, que la seule façon de progresser dans la vie est de développer ses propres capacités d’autocritique, pour ne pas dépendre des autres.
En 1952, la famille quitte l’Argentine et déménage en Israël. À onze ans, ses parents l’amènent à Salzbourg pour d’abord entendre, s’imprégner, s’en nourrir à vie, mais aussi pour suivre des cours de direction d’orchestre avec Igor Markevich. Le même été, il rencontre le chef Wilhelm Furtwängler et joue pour lui. Furtwängler écrira ensuite : « Daniel Barenboïm, âgé de onze ans, est un phénomène ». En 1955 et 1956, il étudie l’harmonie et la composition avec Nadia Boulanger à Paris. A 18 ans, il peut jouer les 32 Sonates de Beethoven.
À dix ans, il fait aussi ses débuts internationaux en tant que pianiste solo à Vienne et à Rome ; Paris (1955), Londres (1956) et New York (1957) puis il joue sous la direction de Leopold Stokowski. Dès lors, il se produit régulièrement en Europe et aux États-Unis, mais aussi en Amérique du Sud, en Australie et en Extrême-Orient.
En 1954, Daniel Barenboim commence sa véritable carrière de pianiste-concertiste. Dans les années 1960, il enregistre les Concertos pour piano de Beethoven avec Otto Klemperer, les Concertos pour piano de Brahms avec Sir John Barbirolli et les concertos pour piano de Mozart avec l’English Chamber Orchestra en tant que pianiste et chef d’orchestre.
Depuis ses débuts à vingt-cinq ans en tant que chef d’orchestre en 1967 à Londres avec l’Orchestre Philharmonia, Daniel Barenboim est invité par les plus grands orchestres à travers le monde. Il les aura tous dirigés. Entre 1975 et 1989, il est le chef d’orchestre de l’Orchestre de Paris, avec lequel il a souvent joué des œuvres contemporaines de compositeurs tels que Lutosławski, Berio, Boulez, Henze, Dutilleux, Takemitsu etc.
Daniel Barenboim fait ses débuts opératiques au Festival d’Édimbourg en 1973 avec le Don Giovanni de Mozart. En 1981, il dirige pour la première fois à Bayreuth, où il reviendra chaque été pendant dix-huit ans, jusqu’en 1999. Parallèlement, il dirige Tristan und Isolde, Ring des Nibelungen, Parsifal et Die Meistersinger von Nürnberg. Sa direction du dernier Parsifal pour les adieux de Waltraud Meier en Kundry fut un triomphe.
De 1991 à juin 2006, Daniel Barenboim est Directeur musical du Chicago Symphony Orchestra. Les musiciens de l’orchestre l’ont depuis nommé Chef d’orchestre honoraire à vie. En 1992, il devient Directeur général du State Opera Unter den Linden, orchestre duquel il sera aussi Directeur artistique de 1992 à août 2002. En 2000, la Staatskapelle Berlin le nomme Chef émérite à vie. Sur les scènes d’opéra comme de concerts, Daniel Barenboim et la Staatskapelle Berlin acquièrent un vaste répertoire d’œuvres symphoniques.
Parallèlement au répertoire classique et romantique, Daniel Barenboim s’intéresse à la musique contemporaine. La première de l’opéra d’Elliott Carter What next ? a eu lieu au State Opera. Le répertoire de concert de la Staatskapelle comprend régulièrement des compositions de Boulez, Rihm, Mundry, Carter, Höller et Widmann.
L’un des faits parmi les plus marquants de son activité boulimique, il crée en 1999, avec le théoricien littéraire et critique palestinien Edward Said, l’Orchestre-atelier du Divan occidental-oriental, ou West-Eastern Divan Workshop qui réunit de jeunes musiciens du Moyen-Orient et d’Israël, à la tête duquel il donne de très nombreux concerts dans des lieux prestigieux, mais aussi d’autres plus emblématiques. Le Workshop vise à ouvrir le dialogue entre les diverses cultures du Moyen-Orient et à promouvoir l’expérience de la musique ensemble. Il considère ce projet comme le plus important de sa vie. À l’été 2005, le West-Eastern Divan Orchestra donne un concert historique dans la ville palestinienne de Ramallah, qui est diffusé à la télévision et enregistré en DVD. Les musiciens de la Staatskapelle Berlin participent en tant que professeurs à ce projet depuis sa création. Daniel Barenboïm a également lancé un projet d’éducation musicale dans les territoires palestiniens qui comprend les fondations d’une école de musique et d’un orchestre de jeunes.
Le musicien est ainsi honoré, couvert de récompenses et de prix et de marques de reconnaissance. Daniel Barenboïm a même du temps à consacrer à la publication d’ouvrages: son autobiographie A Life in Music, et Parallels and Paradoxes qu’il a écrit avec Edward Said. Son livre La Musica sveglia il tempo sort en Italie à l’automne 2007. Il publie avec Patrice Chéreau, en décembre 2008 Dialoghi su musica e teatro. Tristano e Isotta. Sa publication la plus récente La musica è un tutto: Etica ed estetica sort en Italie en 2012.
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
Daniel Barenboim (piano)
lundi 15 janvier 2018
Halle aux Grains (20h00)
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Mécénat / Partenariats
Nathalie Coffignal
ncoffignal@grandsinterpretes.com
Tel : 05 61 21 09 61
Daniel Barenboim © Silvia Lelli