Avant de prendre dès janvier les rênes du Théâtre Sorano, Sébastien Bournac y présente sa mise en scène de « Dialogue d’un chien avec son maître », pièce de Jean-Marie Piemme. Entretien.
Vous avez tissé des liens avec des auteurs contemporains, comme Daniel Keene ou Koffi Kwahulé, à qui vous avez commandé des textes. Quel est le lien qui vous lie à Jean-Marie Piemme, l’auteur de « Dialogue d’un chien avec son maître, sur la nécessité de mordre ses amis » ?
Sébastien Bournac : «La pièce a été écrite en 2008 et créée par Philippe Sireuil, metteur en scène belge. Ce spectacle a beaucoup tourné en France, notamment dans la région. Je ne l’ai pas vue à l’époque mais j’ai lu la pièce par curiosité, et j’ai vraiment été séduit par l’écriture de Piemme. J’ai fait une lecture de la pièce à Rodez, où j’étais en résidence. Après avoir conçu et mis en scène le spectacle d’inauguration du Grand Théâtre d’Albi, je suis parti en vacances dans le désert marocain avec cette seule pièce. C’est d’abord le désir de travailler avec les acteurs, dont Régis Goudot, qui m’a ramené vers cette pièce. Quand je travaille sur une œuvre, je suis très curieux de rencontrer l’auteur : je suis allé voir Jean-Marie Piemme en Belgique. Il vit à Bruxelles, il a 70 ans et a écrit une soixantaine de pièces. C’est quelqu’un de très important mais il n’est pas très connu en France. Il a vu le spectacle à Albi et sera présent à Toulouse pour une rencontre avec le public, avant la représentation au Sorano, le 4 novembre. L’histoire est en train de s’écrire avec lui : je lui ai passé commande du prochain texte que je mettrai en scène. Comme toujours, c’est une histoire qui se développe avec les auteurs. J’aime les auteurs et ils auront dans cette maison une place particulière.»
Qu’est-ce qui vous pousse en tant que metteur en scène à passer commande ?
«C’est très personnel. Depuis que j’ai découvert cette possibilité de la commande, que je l’ai exploitée, j’ai l’impression que mon acte de mise en scène est différent. J’ai l’impression d’entrer à chaque fois dans une aventure totalement inconnue. Il y a une grande prise de risque : les textes produits peuvent être plus ou moins heureux, correspondre plus ou moins à ce qu’on attend. Mais j’y ai pris goût, c’est comme une drogue ! Je maîtrise de mieux en mieux la commande : avec l’Australien Daniel Keene, l’éloignement, le problème de la langue et la médiation avec sa traductrice compliquaient les choses ; Koffi Kwahulé était venu travailler avec le groupe d’adolescents pour lequel il avait écrit « la Mélancolie des barbares » ; avec Piemme, nous échangeons des mails trois fois par semaine en ce moment, c’est donc un vrai dialogue. Je lui ai passé une commande très précise, et je fais confiance à son intelligence dramaturgique. J’ai envie qu’il intervienne dans le processus de répétitions : il va livrer une première mouture du texte dont on s’emparera avec les acteurs, puis il sera modifié à partir des acteurs. C’est pour moi un acte total de création, j’aime ces aventures là. Avant de passer cette commande à Piemme, je lui ai fait lire le dossier de candidature pour le Sorano en lui précisant que ce serait peut-être ma première création pour ce théâtre afin qu’il sache dans quel contexte et dans quel esprit cela se fera. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas d’opposition entre le geste du directeur et le geste du metteur en scène. Mais je n’ai pas envie d’être un directeur. Je serai un metteur en scène qui dirige un lieu et qui dialogue avec d’autres artistes. Quand je rencontre des artistes, je parle avec eux de l’endroit où je suis, c’est-à-dire la mise en scène, avec ma sensibilité, et je vois dans leur projet ce qui peut me toucher ou pas. »
Vous semblez avoir une prédilection pour les rencontres improbables ou difficiles dans vos pièces. Est-ce qu’elles sont sources des meilleures histoires ?
«Dans « l’Apprenti », la rencontre se construit dans l’altérité. Une des thématiques qui me touche le plus aujourd’hui est la question de l’altérité. Sans doute dois-je me sentir très étranger au monde dans lequel je vis pour revenir sans cesse dans ces situations complexes. Mais je crois que le réel n’est pas simple et j’aime ce qui jaillit des relations humaines. Même dans « la Mélancolie des barbares », avec tous les paradoxes du texte, dans la noirceur totale de cette pièce il y a quelque chose qui lutte. Pour moi, cette résistance doit être une métaphore politique de notre engagement dans le réel. J’ai envie que le théâtre soit un lieu de bataille. Avec « Dialogue d’un chien », j’ai l’impression que mon désir théâtral tourne peut-être le dos à la célébration de la catastrophe pour aller vers quelque chose de plus joyeux qui ne nie pas la catastrophe mais qui, dans sa forme, propose aux spectateurs quelque chose de plus constructif. C’est difficile de convoquer des spectateurs dans une salle de spectacle juste pour leur dire «regardez comment le monde va mal». Je crois même qu’il y a quelque chose d’un peu indécent à cela.»
Il y a tout de même beaucoup de mélancolie chez vous. De la solitude aussi…
«Je suis quelqu’un de plutôt très joyeux ! Je suis sans doute très mélancolique. Dans « Dialogue d’un chien », il y a de la mélancolie chez ce portier solitaire en plein drame social. Sauf qu’il rencontre un chien qui parle et que, tout d’un coup, la fantaisie prend le pas sur le drame, à la manière des comédies d’Aristophane et de Dario Fo. On peut rendre le drame bouffon sans rien perdre du dramatique et en gagnant en plus la comédie.»
Qu’est-ce que cette nécessité de mordre ses amis ?
«Peut-être que cela fait écho à cette résistance dont je parlais. On peut parfois se complaire un peu trop dans la désespérance du temps, et rester enfermé dans une passivité. Et le dialogue – c’est-à-dire ce qui existe entre les deux personnages – génère tout à coup une énergie qui est bien plus forte que les névroses de l’un ou de l’autre. Je crois profondément à la communauté, à l’être ensemble. Même quand c’est compliqué, il y a quelque chose qui naît et qui doit nous réjouir. C’est pour cela que j’aime le théâtre. Je crois à la communauté théâtrale, je crois au risque, à l’inconnu, avec tout ce qu’il peut y avoir de raté. J’assume aussi les spectacles qui n’ont pas été complètement réussis, à côté desquels je suis un peu passé, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été importants dans mon parcours. Je suis ravi que le public découvre le travail du nouveau directeur du Sorano avec ce « Chien ». Je crois que c’est un spectacle enthousiasmant, et qui incarne l’énergie du théâtre populaire d’aujourd’hui que j’ai envie de voir dans cette salle.»
Pourquoi avez-vous choisi de travailler de nouveau avec Régis Goudot que vous aviez déjà dirigé dans « Jardins d’incendies », au Théâtre Sorano ?
Je connais Régis en tant qu’acteur depuis sa collaboration avec Didier Carette. C’est un acteur magnifique, dont on sent la nécessité d’être sur le plateau. Il a engagé sa vie dans le théâtre. Il a une technicité incroyable, c’est une chance pour un metteur en scène comme moi de travailler avec des acteurs de cette puissance là. Il incarne finalement tout ce que je ne suis pas : il y a donc une complémentarité entre son incandescence scénique, son travail dans l’émotion, et la cérébralité que j’apporte. Il y a le chaud et le froid, c’est ce qui me plaît dans cette collaboration. « Jardins d’incendies » était sa première expérience après sa période Didier Carette. J’avais envie de l’entraîner dans une nouvelle aventure de théâtre. Cette maison, le Théâtre Sorano, est aussi la sienne. Nous continuerons à travailler ensemble tant que nous arriverons à réinventer notre relation dans le travail et le plaisir de partager.
Propos recueillis par Sarah Authesserre
le 5 octobre 2015, à Toulouse,
pour le mensuel Intramuros
« Dialogue d’un chien avec son maître »,
du mardi 3 au samedi 7 novembre,
20h00, au Théâtre Sorano,
35, allées Jules-Guesde, Toulouse.
Tél. : 05 81 91 79 19.
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photos © François Passerini
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