Rolando Villazón est un artiste charnel, qui offre son chant avec ses tripes, ses grimaces, ses failles, son immense générosité, son amour de la scène, sa bonne humeur contagieuse.
C’est un programme sans tubes, sauf peut-être l’ouverture de Nabucco ou le ballet de Macbeth. Le Czech National Symphony Orchestra, dirigé à la moustache et à la fougueuse crinière blanche de son chef Guerassim Voronkov, sonne fort dans la Halle, et le violoncelle solo de Martin Havelik, malgré une ou deux approximations, enchante le prélude de I Masnadieri.
Un programme d’airs et de mélodies que l’on entend peu, la face cachée du Verdi rabâché.
Rolando Villazón se donne corps et voix pour le très beau lamento de Corrado (Il Corsaro), les graves du lac stagnant qui couve les tempêtes (Il Mistero), et vit en Rodolfo la trahison de l’aimée (Luisa Miller). Si ça et là un aigu est attrapé à l’arraché, on est sous le charme de la ligne de chant, du timbre sombre, de l’émotion palpable. Le souffle est étonnant, et certaines notes (non va !) sont tenues longuement, certainement plus que de raison. Il est dommage que l’orchestration lourde des romances Deh, pietoso, oh Addolorata (texte de Goethe) et de L’esule (texte de Solera) masque parfois la déclamation et impose des interventions incongrues dans ces poèmes à l’introspection faustienne.
Dessin de Rolando Villazón
Malgré la fatigue qui se fait sentir, Rolando Villazón offre trois bis à la Halle enthousiaste : le funèbre Non t’accostare all’urna (Ne t’approche pas de mes cendres) ; Il poveretto, que l’artiste explique (Ce pauvre qui fait la manche fut autrefois soldat, mais son pays l’a oublié. Alors toi qui as bon cœur, donne-lui une petite pièce) avant de le chanter en le mimant. Puis c’est le Brindisi final, non pas celui des bulles bourgeoises de la Traviata, mais la véritable chanson à boire, chope de bière à la main. Même les huiles un peu endormies – arrivées peu discrètement en retard – partagent la standing ovation. Rolando Villazón siffle la chope cul sec et quitte la plateau en enlevant une jolie violoniste. Cabotin, joueur, profondément humain.
Halle aux Grains, 24 juin 2013
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.