Voir mon article-annonce pour cette dernière production. Ci-dessous, ce sont quelques impressions données…comme elles viennent !

Adriana Lecouvreur
Depuis 1902, il paraît bien difficile de résister au charme si subtil d’Adriana Lecouvreur qui, tel un poison versé par la princesse de Bouillon dans le bouquet de violettes offert à sa rivale, vous pénètre insidieusement et vous fait mourir de plaisir, en tant que spectateur ! car, tel est bien là, l’opéra le plus populaire, le seul, de Francesco Cilea. À plus forte raison quand plateau et fosse vous enthousiasment les yeux et les oreilles. Adriana Lecouvreur est bien ce chef-d’œuvre du mélodrame.

Lianna Haroutounia © Mirco Magliocca
Entrons direct dans le sujet : La soprano arménienne Lianna Haroutounian est l’incarnation même de cette comédienne qui s’abandonne à ses propres sentiments avec, dès l’acte I, cette allure impériale des grandes lionnes du théâtre. Toute la fermeté de ton requise sera bien présente dans les invectives proférées dans sa lutte avec sa rivale. Quelle projection ! Et elle est bouleversante dans l’acte IV avec un “Poveri fiori“ chanté sur le fil d’un souffle maîtrisé avec un raffinement égrenant les nuances. Si on se livre à quelques comparaisons, on découvre de nouvelles inflexions, des accents inédits pour mieux servir une partition écrite pour une grande diseuse. Merveilleuse de sobriété, jusque dans le monologue de Phèdre, timbre généreux, accent sincère, à l’émotion immédiate, éloignée de tout artifice. Impossible de résister à cette présence vocale franche et directe, soutenue par une grande économie de gestes. Avec une incarnation pareille, le reste ne peut que suivre.

Vincenzo Costanzo, le sauveur de la Première
L’objet de tous les maux ressentis par ces dames, Maurizio, interprété par José Cura ne pouvant assurer, le Théâtre nous fait découvrir un nouveau ténor au Capitole en la personne du jeune ténor napolitain Vincenzo Costanzo. Pour incarner ce soldat plein de panache, il faut un chanteur fougueux, viril, et séducteur dont l’ardeur vocale et les épanchements reflètent l’exacte nature, sans trop de sanglots dans la voix. Le timbre est plaisant, les aigus sûrs, l’émission vocale d’une belle puissance, la voix étonnamment stable tout au long, et dotée d’intonations charnues sans perdre une seule once de sensibilité et d’émotion. De son duo émouvant avec la princesse de Bouillon à l’acte II « Mon âme est lasse » au compte rendu de ses exploits militaires sur le champ de bataille à l’acte III où il faut surpasser les tuttis de l’orchestre. Il a enchanté le public qui, sachant qu’il avait “carrément“ sauvé la représentation et ce, de fort belle manière, lui a fait une ovation tout à fait méritée.

Le chef, le Sauveur et le formidable Michonnet
Accord parfait entre les désirs du chef et les chanteurs sur le plateau. Il peut ainsi s’abandonne au bonheur de se laisser envoûter par le charme vénéneux du mélodrame conduit à son paroxysme. Grâce évidemment aux qualités des musiciens de l’ONCT présents dans la fosse, un très attentif Gianpaolo Bisanti peut restituer à la musique de Cilea toute sa luxuriance sonore. Ce sera tout au long, un fleuve qui bouillonne et se repose quand il le faut, toujours parfaitement canalisé.
Le public se laisse facilement convaincre et saura le manifester. Si Adriana Lecouvreur n’a pas été décrété comme étant une œuvre majeure, mieux vaut-il assister à une œuvre située une marche en dessous, respectée par tous les acteurs. Ici, émotion garantie dans une trilogie musique-chant-théâtre hors pair.

Judit Kutasi © Mirco Magliocca
La production n’en est pas à sa première. D’autres salles lyriques l’ont déjà accueillie. Ce qui prouve bien que ses qualités sont multiples. Ivan Stefanutti a pris très au séreux ce livret aussi mélodramatique. Théâtre dans le théâtre, les quatre actes se succèdent avec aisance. On passe des coulisses d’un théâtre où tout semble se mélanger mais la direction d’acteurs est telle que tout fonctionne. Le jeu obtenu des chanteurs frappe par une précision de détail et une justesse de l’observation qui gomment certaines mini-longueurs de la partition. Puis, chez la Princesse de Bouillon et enfin les appartements d’Adriana. On dit bravo à la scénographie et aux costumes du meilleur goût de l’époque choisie, tout cela dû au metteur en scène. Et, tout au long de l’ouvrage, toujours la magie des lumières ici de Claudio Schmid. On est tout surpris d’être privé de films, de vidéos, de diapos ! la transposition à l’époque de la création de l’ouvrage nous aura évités ce qui n’est souvent qu’outrance et distraction.
La chorégraphie de Michele Cosentino pour le divertissement dansé de l’acte III, Le Jugement de Pâris est tout à fait de bon goût avec sa référence à L’Après-midi d’un faune, costume inspiré de Léon Bakst pour Nijinski (1912). Entre parenthèses, excellent choix du Nijinski version 2025…

Lianna Haroutounia et Nicola Alaimo © Mirco Magliocca
Nicola Alaimo est bien le Michonnet que toute production de cet opéra souhaite rencontrer. Le baryton coche toutes les cases, de la grandeur tragique de l’amant méconnu dont on piétine innocemment, ou non, l’amour éperdu, au physique le plus adéquat. Sans parler du chant, de la première note émise à la dernière, une merveille de legato, d’élégance et d’émotion.
Judit Kutasi nous interpelle par une interprétation somptueuse, une puissance de feu, une présence inquiétante, élégante dans sa fureur de femme jalouse et effrayée de se voir, qui sait, délaissée. Un timbre d’onyx avec des accents idéalement vindicatifs.

Pierre Derhet et Roberto Scandiuzzi © Mirco Magliocca
Deux intrigants de luxe, la basse Roberto Scandiuzzi et le ténor Pierre Derhet au ton percutant et au jeu pétillant qui forment un tandem parfait de grande aisance et dans le chant et dans le jeu. Du beau travail.
Enfin, des comprimari de qualité avec le Poisson de Damien Bigourdan et le Quinault de Yuri Kissin. Tout comme le portrait des deux Mesdemoiselles Dangeville et Jouvenot, soit Marie-Ange Todorovitch et Cristina Giannelli, qui attestent une fois de plus qu’au Théâtre du Capitole on ne se contente pas de s’intéresser aux têtes d’affiche mais on se permet aussi de donner toutes leurs chances aux nouvelles pousses et à tous les ouvrages dans leur intégralité. Qui oserait négliger dans ce concert de louanges ! les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole menés de triomphe en triomphe par leur chef Gabriel Bourgoin ?
Et entre deux représentations , ils vont nous donner 2 concerts de Carmina Burana de Carl Orff (affichés COMPLET)
> Adrienne Lecouvreur, immense amoureuse, au cœur d’un mélo magnifique
> José Cura s’empare de Maurizio dans la reprise d’Adrienne Lecouvreur au Capitole