Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
L’Accident de Jean-Paul Kauffmann
Le nouveau livre de Jean-Paul Kauffmann tient à la fois de la quête et de l’enquête. Le 2 janvier 1949, dix-huit footballeurs du village de Corps-Nuds en Bretagne trouvèrent la mort dans un accident de la circulation. C’est dans ce bourg que le jeune Kauffmann, né en août 1944, grandit auprès de ses parents tandis que le drame fit longtemps porter un deuil collectif à la communauté. Plus de soixante-dix ans après, l’écrivain revient sur les circonstances et les répercussions de l’accident qui vit le camion Dodge transportant les footballeurs finir dans un étang après avoir percuté une minoterie. Les causes de cette sortie de route : une vitesse excessive et trop d’alcool pour le conducteur, le fils du maire de la commune.

Jean Paul Kauffmann © Maurice Rougemont / Opale Photo / Éditions des Équateurs
Si la tragédie comportait sa part d’ombre, « comme un secret de famille », elle va servir à l’auteur de La Chambre noire de Longwood et de Courlande de prétexte pour revisiter son enfance. D’autant que cette enfance eut aussi un rôle essentiel lors d’un autre « accident », celui qui vit, le 22 mai 1985, Kauffmann, alors journaliste, être kidnappé à Beyrouth et détenu comme otage par le Hezbollah durant trois ans. Dans les geôles des terroristes, le souvenir de ses jeunes années le sauva en lui épargnant de désespérer jusqu’au bout.
Royaume de l’enfance
Livre gigogne, L’Accident ressuscite, entre la confession autobiographique et le récit familial, un temps révolu, un « continent perdu », « une société rurale d’avant la mécanisation », « un pays rythmé par la sonnerie des cloches, le cours des fêtes fixes et mobiles. Une époque où l’individu échangeait encore avec la nature sans volonté de la dominer ni de la détruire. » Pour le petit Kauffmann, élevé par des parents aimants, Marcel et Odette, dont il signe de beaux portraits, l’insolite église de Corps-Nuds avec son clocher à bulbe fut une autre maison. Zélé enfant de chœur, il officia auprès du rugueux curé Paul Brionne tandis que plus tard, son oncle, l’abbé Georges Rousseau, devint une sorte de mentor.
Parsemé d’odeurs (celles de la boulangerie paternelle et du pain chaud, de l’église, des paysans, des fermes…), ce livre est notamment l’éloge d’une vie simple, sobre, où même l’ennui avait de la valeur : : « Il m’a ouvert les yeux, éclairci ma vie. Il m’a fait rêver le monde. » Si Jean-Paul Kauffmann réfute toute tentation nostalgique, il sait avoir « assisté à la fin d’une société villageoise », au remplacement des paysans par les agriculteurs, à l’émergence de nouveaux cultes (« l’hégémonie marchande, un monde dominé par la rentabilité et la performance, l’adoration du bien-être ») dans « la tristesse d’un temps sans avenir. »
Nulle lamentation cependant sous la plume et dans le cœur de celui qui se souvient, encore émerveillé, « d’un temps fabuleux, un Eden à jamais perdu. » Lui qui ressentit « l’accord total entre la liberté et le seul fait d’exister » précise que l’enfance n’est pas « une saison de l’année, une période fugitive et transitoire annonçant quelque été mais une grâce donnée de manière définitive, un territoire sauvegardé, solidement cadenassé, impossible à forcer. » La grâce précisément illumine L’Accident, livre de la mémoire et des origines, écrit « par gratitude à l’égard de cette parenthèse bénie » et pour acquitter une dette envers les siens.
L’ Accident • éditions des Equateurs