Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot
Dans un petit village français, le médecin Rémy Germain est la cible de lettres anonymes l’accusant d’entretenir des relations adultérines et de commettre des avortements. Rapidement, les missives signées par « le corbeau » pleuvent sur de nombreux autres habitants de la commune gagnée par une suspicion générale. Car si l’on feint de ne pas prêter foi aux allégations du dénonciateur, beaucoup ne peuvent s’empêcher d’y voir un « fonds de vérité ». Le ténébreux docteur Germain, tiraillé entre deux femmes, va tenter de démasquer le corbeau…
Evidemment, impossible de dissocier le film de Clouzot, sorti en 1943, de son contexte historique tant le thème de la délation et des lettres anonymes renvoyait alors à une réalité tristement concrète dans la France occupée. Produit par la Continental, société française contrôlée par les Allemands, le deuxième long-métrage de Clouzot, grand succès public lors de sa sortie en salles, sera banni des écrans à la Libération et le cinéaste privé à vie de toute activité cinématographique (la peine sera finalement ramenée à deux ans). Le propos du film n’offrait pourtant pas un portrait flatteur de la France sous Vichy à travers ce village (image chère au régime de Pétain) où règnent la veulerie et le mensonge. Du côté de la Résistance puis du nouveau pouvoir, ce sombre tableau entachait la légende d’une France résistant tout entière à l’occupant et aux collaborateurs (légende dont La Bataille du rail et Le Père tranquille de René Clément sont l’illustration).
Passions tristes
Dès ses premières images (un cimetière, une église) et sa première scène (le docteur sort d’un accouchement dont il n’a pas pu sauver l’enfant), Le Corbeau frappe par sa noirceur. La suite déploiera une peinture au vitriol d’une communauté en proie à l’hystérie collective, aux passions tristes, à la lâcheté, à la bassesse. Un patient se suicide après avoir appris par un courrier anonyme qu’il est atteint d’une maladie incurable. Une sœur, soupçonnée d’être l’auteur des lettres, manque d’être lynchée par la foule. Les institutions et les notables font défaut à leur rang. Un curé reprend le discours culpabilisateur de Pétain sur les fautes à expier. Même les enfants ne font pas preuve de l’innocence qu’on leur prête communément.
Clouzot tire à vue sur cette micro-société éminemment symbolique où les valeurs de la Révolution nationale (« Travail, Famille, Patrie ») masquent mal une faillite à la fois collective et individuelle. Au-delà de son propos, Le Corbeau vaut aussi – et surtout – pour sa mise en scène et l’art de Clouzot de suggérer l’enfermement par les cadrages, la composition des plans, les lumières. Usant d’accents expressionnistes, le film évoque certaines œuvres de Fritz Lang, comme M le maudit ou Furie, autant dans leurs formes que dans leur propos. De fait, on n’oublie pas ce drame aux échos, hélas, intemporels porté par une distribution (Pierre Fresnay, Ginette Leclerc, Pierre Larquey…) impeccable.
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