Dans cette nouvelle chronique, Culture 31 fait honneur à un album culte de la musique.
Roberta Flack & Donny Hathaway, de Roberta Flack et Donny Hathaway (1972)
De la musique soul américaine du début des années 1970 éclairée par de doux arrangements, des harmonies vocales révélatrices d’un amour charnel, perdu ou éternel, c’est ce qu’il y a à retrouver dans cet album. Atteignant les âmes de celles et ceux qui l’écoutent, ce disque, quelque peu oublié, réunit les deux auteurs-compositeurs-interprètes Roberta Flack et Donny Hathaway. Décédée d’une crise cardiaque en février dernier, la première, talentueuse pianiste du méga hit Killing Me Softly With His Song, s’allie au second, prodige de Chicago, pour une fusion qui reste intemporelle.
Une rencontre au sommet
Reconnue dans l’industrie du disque depuis son premier album First Take (1969), Roberta Flack atteint tout juste la popularité en 1972, lorsque son devenu classique The First Time Ever I Saw Your Face a été utilisé par Clint Eastwood dans son film Un frisson dans la nuit. Concomitamment, dans la sphère R&B de l’époque, Donny Hathaway détenait déjà de jolis succès comme sa chanson de Noël This Christmas ou encore son album Live de 1971.

Roberta Flack et Donny Hathaway / Flickr
À cette époque, tous deux sont signés chez Atlantic Records. Contrairement à l’album artificiel du duo de la Motown Diana Ross et Marvin Gaye (1973), Flack et Hathaway font percevoir une alchimie naturelle, née d’une expérience de travail déjà affirmée entre eux. Leur album éponyme, sorti en avril 1972, mélange originaux et reprises de Carole King ou Ben E. King entre autres. Un disque de studio, celui-ci respire l’ambiance d’un live : on entend même Roberta Flack quitter le studio à la fin de sa dantesque performance piano (Mood). Tantôt sobres, tantôt vastes, les arrangements funk et gospel de cordes et de pianos laissent leurs voix se conjuguer parallèlement et sublimement.

Roberta Flack © John Mathew Smith / Wikipédia
Cette rencontre au sommet est l’occasion d’écouter l’amour sous toutes ses coutures : de la passion physique jusqu’à l’orgasme (I (who have nothing)), l’élan joyeux, la perte déchirante due à la mort (For All We Know). Petit bémol : le hit Where Is the Love, lequel a marqué les radios mais peut-être pas le temps. Le tube You Are The Sunshine of My Life (1973) de Stevie Wonder est dans le style bien plus abouti.
De la musique saoule
Loin d’être un simple recueil de reprises pour artistes en perte de vitesse, cet album trace un arc émotionnel : de la froideur des êtres humains (You’ve Got A Friend) jusqu’à la guérison des âmes blessées au Paradis (Come Ye Disconsolate). Les voix de Flack et Hathaway, parfois aiguës, parfois graves, se coordonnent avec une évidence rare par le biais de runs et riffs vocaux. Ils chantent la tendresse d’un amour qui n’a pas besoin de richesses matérielles, la douleur d’un lien qui s’effrite (You’ve Lost That Lovin’ Feelin’). Le piano des deux acolytes, minimaliste et précis, guide des morceaux où les cordes jazzy et funky rappellent les œuvres d’Isaac Hayes ou de Stevie Wonder, encore lui.

Donny Hathaway / Wikipedia
Une œuvre teintée de gospel et d’une once de proto-disco qui a pu inspirer Barry White, celle-ci balance entre légèreté et ancrage. Un ton country peut être retrouvé dans la chanson pop Baby I Love You qui a elle-même pu être une influence pour Beyoncé dans son album Cowboy Carter (2024). Par ailleurs, un titre comme Be Real Black for Me célèbre la blackness (le fait d’être noir aux Etats-Unis et de le glorifier, ainsi) avec force. C’est un hymne à l’identité du peuple noir qui se balance entre l’amour et le désespoir pour citer Michel Berger et France Gall. Hathaway et Flack font cela dans leur havre commun. À écouter incontestablement, la musicalité de l’album peut rendre saoul de plaisir et de paix intérieure tout un chacun (comme Françoise Hardy qui écoutait de la musique saoule à s’en rouler par terre).
Face à la frénésie instantanée d’aujourd’hui, cet album prend son temps et son écoute ne peut que l’être également. Les Toulousains, amateurs de soul ou curieux de musique, y trouveront un refuge dans lequel s’abriter, les yeux fermés, au calme ou à la mer avec l’amour viscéralement ancré dans le corps.