Le cinquième concert de la saison des Arts Renaissants recevait ce 6 mars dernier en l’église Saint-Jérôme, un trio de musiciens exceptionnels. Vittorio Ghielmi et Christoph Urbanetz, violes de gambe, et Luca Pianca, luth, ont ce soir-là ébloui par leur maîtrise, le raffinement et la sensibilité de leur jeu, en un mot par leur absolue musicalité.

Les musiciens invités. De gauche à droite : Vittorio Ghielmi, Luca Pianca, Christoph Urbanetz – Photo Classictoulouse –
Le Milanais Vittorio Ghielmi, le Viennois Christoph Urbanetz et le Suisse italien Luca Pianca ont décidé de s’investir dans « Le secret de monsieur Marin Marais (1656-1728) » comme cela est indiqué dans le programme de salle du concert. En particulier, Vittorio Ghielmi s’est attaché à découvrir et étudier un système d’abréviations et de signes utilisé par le grand compositeur de la cour de Louis XIV pour indiquer et transmettre ses gestes musicaux liés au jeu de la viole de gambe. On apprend ainsi que plusieurs manuscrits de cette époque contiennent même de nombreuses annotations d’exécution de la main de Marin Marais. Un trésor inestimable pour les interprètes de ce répertoire. Il est en outre indiqué qu’une partie de ce matériel est conservée à la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine de Toulouse. Sa directrice, Magali Vène, a donné cette information importante au cours de son allocution avant le concert.

Un des documents de la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine de Toulouse – Photo Classictoulouse –
A cet égard, un lutrin disposé près des musiciens offre à la vue de tout spectateur une copie de l’un de ces documents d’époque sur les pièces de viole de Marin Marais. Voici qui renforce encore l’intérêt de ce très beau concert du 6 mars !
L’essentiel du programme de cette soirée est évidemment consacré à ces pièces de viole. Mais figurent également deux partitions du violiste Monsieur de Sainte-Colombe (? – avant 1701) et une signée du luthiste Robert de Visée (ca. 1661-ca. 1720). Les cinéphiles ne manqueront pas d’évoquer le célèbre film d’Alain Corneau Tous les matins du monde…
Les musiciens ouvrent la soirée avec une série de pièces de Marin Marais qui resplendissent sous leurs doigts. Certaines d’entre elles se jouent à deux (une viole et le luth), d’autres à trois. Après le Grand Ballet du Livre III, dans lequel la virtuosité des trois musiciens s’exerce à merveille, les deux violes se font écho dans la Musette à 3. Dans la Sarabande, intitulée « La Désolée », la viole et le luth échangent leurs plaintes.
Cette série est suivie du très émouvant Concert à deux violes esgales, « Les Regrets », de Monsieur de Sainte-Colombe qui fut le maître de Marin Marais. Les deux instruments évoquent ici la voix humaine dans un duo d’affects d’une rare intensité.
La deuxième série consacrée à Marin Marais alterne cinq partitions aux caractères divers, des richesses harmoniques de l’Allemande magnifique du Livre III à la profonde introspection de la Sarabande espagnole du Livre II jouée par une seule viole.

Les deux gambistes dans une pièce de Monsieur de Sainte-Colombe – Photo Classictoulouse –
En seconde partie, la poursuite du large répertoire de Marin Marais s’ouvre sur la belle méditation intitulée étrangement Resverie meszplaisiennes du Livre V. De redoutables traits virtuoses permettent aux deux violes de briller de tous leurs feux dans le Rondeau III. Le luth seul de Luca Pianca manifeste une belle éloquence dans Allemande et Passacaille du compositeur luthiste Robert de Visée. Avant le retour d’un Concert à deux violes esgales, « Le Craintif » dans lequel les deux violes semblent déclamer un véritable duo de charme.
La dernière séquence consacrée à Marin Marais multiplie les interventions et les combinaisons diverses. A la suite de l’Allemande et Double du Livre III, une pièce d’une grande originalité réunit les trois musiciens. Intitulée Gavotte du goust du théorbe que l’on peut pincer (sic !), elle confie aux deux violes un jeu entièrement pizzicato, comme pour imiter le jeu du luth. Après un titre qui reprend celui de Monsieur de Sainte-Colombe, « Les Regrets », l’Arabesque du Livre IV associe une seule viole au luth qui semble ponctuer la déclamation de la viole. Le programme s’achève sur la Fantasie du Livre II, à la fois lumineuse et solennelle.
Tout au long du concert, la performance des trois musiciens dépasse la perfection technique, aussi parfaite soit-elle. La musicalité, le raffinement des phrasés, la sensibilité de leur jeu émerveillent et émeuvent. Le public entier qui remplit la nef et les bas-côtés de l’église manifeste sa joie avec un tel enthousiasme qu’un bis prolonge cette soirée. Une nouvelle pièce de Marin Marais conclut cette rencontre mémorable.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse