Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Pas son genre de Philippe Vilain
S’il faut lire le remarquable nouveau roman de Philippe Vilain, Mauvais élève, en librairies depuis le 9 janvier, on peut aussi se replonger avec profit dans une œuvre recouvrant nombre de réussites à l’instar de Pas son genre sorti en 2011 et adapté au cinéma par Lucas Belvaux en 2014. Avec ce titre faisant référence au narrateur de La Recherche de Marcel Proust tombé amoureux d’une femme qui n’était pas son genre, Vilain ne surprend pas ses lecteurs connaissant le goût de l’écrivain pour les jeux de la mémoire, le temps perdu, l’introspection et les amours défuntes. En effet, Jennifer, coiffeuse dans un salon à Arras, n’était pas le genre de François, professeur de philosophie parisien exilé en Picardie trois jours par semaine afin de tenter d’intéresser fils de bourgeois et de prolos aux subtilités de la caverne de Platon.
Pourtant, ce célibataire par paresse, par indépendance et par refus « de choisir entre une insatisfaction et une autre » va céder à la tentation de séduire cette jeune femme qui a « l’allure de sa profession, la coquetterie surveillée des employées. » Dans l’ennui et la solitude de la province, notre homme ausculte ses émois amoureux : « Toutes les femmes se valaient. Je ne me décidais pour aucune, sûr de pouvoir les aimer toutes, c’est-à-dire incapable d’en aimer une seule, ignorant combien le plaisir qu’on cherche auprès des femmes est une fuite, une manière de s’oublier, de se désennuyer, un vide aussi, la multiplication vaine d’un désir qui se condamne à toujours manquer sa cible ». Pas son genre nous révèle la condescendance de ce rêveur désinvolte envers celle « dont le prénom et le genre vestimentaire disaient le mauvais goût ». «On aurait dit qu’elle se sentait jugée, qu’elle avait peur de me décevoir», regrette le Don Juan d’Arras.
Un cœur simple
De cette femme de trente ans, élevant seule Dylan son fils de cinq ans, lisant l’horoscope et les magazines people, choisissant les films qu’elle voit en fonction de la starlette hollywoodienne qui y figure et dont la plus grande ambition serait un jour de « posséder son salon » ; Philippe Vilain nous offre un portrait à deux visages. Celui décrit par le narrateur poliment navré face aux tics de langage et au manque de raffinement de « Jenny », à son diamant incrusté dans la narine, à son « rire chevrotant accordé au cliquetis de ses bracelets de pacotille » et celui que le lecteur découvre sous la plume de l’écrivain, c’est-à-dire un cœur simple et pur, un être plus fin et plus mélancolique qui échappe en partie à la perception d’un homme cultivant une culpabilité rédemptrice, une pitié qui lui donne l’impression « de l’aimer honnêtement ».
« Sans doute me sentais-je si mal parce que je constatais à ses préférences médiocres, à ses goûts d’employée, tout ce qui nous séparait, parce que je devinais que je ne pourrais jamais m’habituer à ce cadre, à elle, à ses attentions culinaires, à ses robes, à son conformisme, à son désir de me plaire, à sa gaieté dont je me savais la cause, à tout cela même qui criait sa solitude, ses attentes, les espoirs qu’elle fondait en moi », songe à un moment François avant de découvrir qu’il n’avait finalement fait que s’ébrouer dans le mépris social, le racisme ordinaire d’un petit-bourgeois habité par la rivalité mimétique, le narcissisme et le conformisme.
De L’Eté à Dresde à Faux père en passant par Paris l’après-midi, Philippe Vilain s’est fait le brillant scrutateur des élans du cœur et des passions amoureuses. Pas son genre prend place dans l’œuvre d’un écrivain excellant à dépeindre le sentiment de déréliction : « j’étais pareil à ces avions qui s’enfoncent dans la nuit, qui clignotent pour signaler leur présence mais qui semblent n’aller nulle part». Au final, François, le cœur aussi vide qu’un appartement attendant un nouveau locataire, se rend compte qu’il n’était peut-être pas le genre de Jennifer. En naît une morale désabusée et poignante : «il est vrai que nous ne sommes jamais, au fond, dans la vie comme dans le cœur des autres, que de passage ».