Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
La Nueve de Paco Roca
A quelques jours du quatre-vingtième anniversaire de la Libération, voici l’occasion idéale de lire ou de relire le roman graphique, sorti en 2014 en France, avec lequel Paco Roca raconte l’incroyable histoire de ces soldats espagnols, anciens combattants républicains intégrés dans la 2ème DB, qui entrèrent les premiers dans Paris libéré le 24 août 1944. Pour eux, la guerre avait commencé en 1936 en Espagne. Communistes, anarchistes, trotskistes, socialistes ou autres : ils se battirent contre le soulèvement nationaliste mené par le général Franco visant à abattre la République et entraînant le pays dans une atroce guerre civile jusqu’à la victoire des troupes franquistes en avril 1939. C’est à cette date que débute le récit de Paco Roca né en 1969 à Valence. Sur le port d’Alicante, des réfugiés républicains attendent d’être évacués par des bateaux envoyés par le gouvernement républicain en exil. Seul un navire britannique en sauvera quelques-uns en les amenant à Oran. Internés dans des camps de travail français, ces hommes seront libérés par le débarquement allié en Afrique du Nord.
Certains vont décider d’intégrer les Corps francs d’Afrique reversés plus tard dans la 2ème DB du général Leclerc. À leurs yeux, lutter pour la France libre, contre Hitler et Mussolini, c’est poursuivre aussi le combat contre Franco. La 9ème compagnie du Régiment de marche du Tchad, composée essentiellement d’Espagnols et baptisée la « Nueve », est placée sous le commandement du capitaine Raymond Dronne. De Normandie en août 1944 à Berchtesgaden en mai 1945, leur épopée les verra entrer les premiers dans Paris libéré…
Mort aux cons
Alliant précision historique et souffle romanesque, Paco Roca reconstitue magnifiquement cet épisode encore largement méconnu. A la manière de son compatriote Javier Cercas qui se met souvent en scène dans ses romans, Paco Roca se crée un double à travers un personnage de jeune auteur espagnol parti à la recherche d’un ancien de la Nueve, vivant désormais dans une petite ville de France. Après avoir gagné la confiance de ce vieil homme bourru et secret, il va recueillir ses souvenirs.
Cette mise en abyme donne vie et énergie à un récit jamais didactique. L’époque contemporaine en noir et blanc, le passé en couleurs : La Nueve ressuscite la grande Histoire et invente la petite avec le même bonheur. Loin de céder à la tentation de l’héroïsation lénifiante, Paco Roca livre un album d’images qui n’ont pas pris une ride. Voici les tanks et les véhicules de la Nueve (baptisés Teruel, Madrid ou Don Quichotte, parfois ornés du drapeau de la seconde république espagnole) dans Paris. Sur sa jeep, le capitaine Raymond Dronne (qui ferait un formidable personnage de roman), surnommé El Capitan, avait accroché un fanion noir où une tête de mort et deux tibias entrecroisés étaient surmontés du slogan « Mort aux cons ». Roca reprend l’anecdote et nous rappelle que ces soldats, ces hommes libres et fiers, étaient aussi des sortes d’anarchistes. Tel Leclerc s’adressant à Dronne : « Depuis quand obéit-on à des ordres stupides ? (…) Dronne, filez sur Paris, entrez dans Paris, passez où vous voudrez ». Paris outragé, Paris brisé, mais Paris libéré…