Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Dernier été de Franz-Olivier Giesbert
« Toute ressemblance avec des personnages ou des événements existants ou ayant existé serait purement fortuite », lit-on parfois en avant-propos à des œuvres de fiction – cet avertissement signifiant en général que la ressemblance n’est pas fortuite, mais délibérée… Franz-Olivier Giesbert aurait pu s’amuser à utiliser ce genre de précaution d’usage en exergue de Dernier été, paru en 2020, tant son roman puise une large part de son inspiration dans des événements, des situations et des personnages hélas bien réels..
Nous sommes en 2030. La planète est en surchauffe, la canicule tue quotidiennement des dizaines de milliers de personnes et dans l’Hexagone on mijote au-delà des 40 degrés. Cela n’empêche pas d’autres fléaux. La France est au bord de la guerre civile. Des groupes gauchistes sèment le chaos. Des snipers prennent pour cibles des mosquées ou des femmes voilées. Pour se protéger du Covid-30 (pourtant encore moins létal que ses prédécesseurs), il est interdit de s’embrasser. Le gel hydroalcoolique coule à flots. Les vieux sont invités à ne pas sortir de chez eux. Parmi ceux-ci, Antoine Bradsock, octogénaire rongé par la maladie, ne se plie pourtant pas aux injonctions d’une société hygiéniste et policière. Au Cercle nautique de Marseille qu’il fréquente, il fait la connaissance d’une jeune femme, Diane, donnant envie de braver tous les interdits et les normes sanitaires en vigueur. Quant à cette célibataire végétarienne, elle tombe assez vite sous le charme du vieil homme, écrivain et ancienne figure du microcosme politico-médiatique.
Naguère, Bradsock s’est beaucoup compromis avec les puissances de son temps. N’a-t-il pas fait partie de la terrible Commission Busnel (du nom d’un obscur journaliste littéraire dont la bien-pensance se mariait à l’absence de goût) qui dressa une liste noire des écrivains à bannir ? Les œuvres sulfureuses d’Aragon, Bernanos, Céline, Handke, Drieu, Finkielkraut, Houellebecq ou Muray furent ainsi mises à l’index. La chasse aux déviants ne s’arrête pas au monde des lettres. Les films de Woody Allen sont interdits, ceux de Polanski ont été brûlés.
Monde d’avant
On aura compris que Franz-Olivier Giesbert s’est beaucoup amusé en écrivant Dernier été et en imaginant les derniers jours de son double romanesque Antoine Bradsock dont la morale pourrait être : « A notre époque, il faut s’attendre à tout, surtout au pire. » Dans le sillage d’Orwell, de Swift ou de Voltaire, il force le trait pour mieux toucher à la vérité. La satire vise en plein centre. Ce monde où les coupables sont tout trouvés (« la mondialisation, l’économie de marché, la finance juive, la consommation de viande, les transports aériens ») évoque trop le nôtre pour que le rire ne se fige en grimace : « L’ignorance ne cesse de faire des progrès. Notre monde est devenu le cimetière de la culture. Pour preuve, le silence spectral, respectueux, qui entourait jadis les maîtres d’antan est remplacé aujourd’hui par des jacasseries, des bruits de volière. Prétendument partagé, le savoir est abaissé, dévalué, jusqu’à être considéré comme un vestige du passé, une perte de temps. »
« Je fais partie du monde d’avant, comme les pharmaciens, les libraires, les cafetiers, les instituteurs, les épiciers, les curés, les marchands de journaux, les petits historiens locaux, les médecins généralistes. Au siècle dernier, ils structuraient les bourgs, les villages, les quartiers. Aujourd’hui, la plupart ont disparu, ne laissant que des volets fermés », confie Bradsock. Il y a néanmoins quelque chose de solaire dans cette radiographie romanesque du désastre, le rêve d’une arche de Noé sauvant animaux de toutes sortes, bêtes domestiques et sauvages, abandonnées ou blessées. Et peut-être même quelques humains…