L’Enlèvement, un film de Marco Bellocchio
Le génial réalisateur italien, pourfendeur des pires avanies de sa Péninsule natale, nous parle ici d’une affaire qui, à la fin du 19e siècle, a fait le tour du monde : l’affaire Mortara, l’histoire ahurissante de cet enfant enlevé à 6 ans à ses parents pour des questions… religieuses.
Nous sommes le 23 juin 1858 à Bologne, la gendarmerie pontificale fait irruption chez les Mortara, un couple de juifs. Ils viennent se saisir de l’un de leurs 8 enfants, Edgardo, 6 ans alors. Le prétexte est le suivant, alors qu’il était nourrisson, sa nourrice, chrétienne, le croyant en danger de mort suite à une fièvre, le baptise sans dire un mot à qui que ce soit. La chose finit par arriver aux oreilles de l’Inquisition. Celle-ci se dépêche donc de récupérer cet oisillon tombé du nid catholique (car il a été baptisé) et élevé selon la Torah. Arraché à sa famille, Edgardo va intégrer la Maison des catéchumènes pour Juifs convertis. Ses parents vont ameuter toute la diaspora. L’affaire fera le tour de toutes les cours d’Europe. Même Napoléon III s’en inquiètera. En fait, sans le savoir Edgardo est devenu un enjeu de communication politique au moment même de la désintégration des Etats pontificaux. Pie IX prônant le dogme de l’infaillibilité papale doit jouer fin face aux diverses cours catholiques qui le défendent militairement en Europe. Aussi le gamin va-t-il se retrouver dans une institution religieuse discrète où ses parents pourront le voir. Tout cela Marco Bellocchio nous le raconte avec la distance romanesque inhérente à ce genre de récit dont l’action est bien ancrée malgré tout dans l’Histoire. Il nous met dans les pas d’Edgardo grandissant et se sentant petit à petit attiré par la foi catholique. En fait il deviendra prêtre, missionnaire pontifical, une mission qu’il accomplira jusqu’à sa mort en 1940. Sans oublier ses constants efforts pour convertir… toute sa famille !
Le scénario pose évidemment des problèmes majeurs quant à la Foi, à son assujettissement, à la libre pensée et au libre arbitre. Il nous fait vivre les ultimes instants du dernier pape-roi, Pie IX (1792-1878) dont le pontificat est le plus long de l’Histoire (31ans). Et tout cela devant la caméra d’un Marco Bellocchio à son meilleur. Cadrages, décors, costumes, lumières (ah, ces clairs obscurs !!!), sa direction d’acteur, tout est à admirer… à genoux ! Pas de stars au casting (ouf !) mais des artistes subjugués certainement par le maître. Le jeune Enea Sala est un Edgardo confondant de terreur et de résilience. Edgardo jeune homme, incarné par Leonardo Maltese, en juif devenu véritable soldat de l’Eglise catholique, est aussi lumineux que parfaitement convaincant dans une partition difficile. Toute la distribution est au cordeau, stupéfiante de réalisme. Un très grand film reparti bredouille de Cannes en 2023. A se demander où le Jury avait les yeux lors de sa projection…