Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique, un livre injustement méconnu ou simplement à découvrir.
Une Balade dans la nuit de George Pelecanos
Fine plume du roman noir contemporain, l’Américain – qui a également collaboré à des séries télévisées marquantes comme Sur écoute et Treme de David Simon – excelle autant dans l’action que dans la dimension sociale. La preuve avec Une Balade dans la nuit paru en 2013 et dans lequel l’écrivain situe à son habitude le récit dans sa ville natale de Washington tandis que son héros, Spero Lucas, partage les racines grecques de ses personnages fétiches Nick Stefanos et Dimitri Karras. Du moins par procuration car Spero fait partie des trois enfants adoptés par ses parents. Ce trentenaire, qui servit dans les Marines en Irak sous Bush Jr, travaille comme enquêteur notamment pour l’avocat Tom Petersen. Par l’intermédiaire de celui-ci, Lucas entre en contact avec un important dealer d’herbe emprisonné en attendant son procès. Le trafiquant le charge de récupérer le contenu ou la valeur (130 000 dollars) de deux colis postaux qui ont apparemment échappé à ses employés, Tavon et Edwin, gamins insouciants et cupides…
Dans sa mission, Lucas va croiser un flic ripoux manipulé par son truand de père et ses sbires, des amis vétérans de la guerre en Irak, des flics à la retraite, un lycéen mêlé malgré lui à l’affaire… Si l’intrigue policière est parfaitement menée, Une Balade dans la nuit vaut aussi pour le regard fraternel que porte Pelecanos qui porte sur les gens ordinaires. L’auteur de Blanc comme neige et Drama City met en scène des êtres dont l’appartenance communautaire est un fardeau ou bien un don. Ainsi, Spero Lucas, chrétien orthodoxe qui a vu trop d’horreurs pour que sa foi ne soit pas ébranlée, se rend à l’église « pour exprimer sa gratitude, et pour être membre à part entière de cette communauté qui avait énormément compté pour lui tout au long de sa vie. A travers les pères des autres, c’était son propre père qu’il voyait. »
Accents émouvants
Chez les jeunes trafiquants noirs, une autre religion est de rigueur : « Acheter des trucs. » Nike, Gucci, Dior ou Rolex, même des contrefaçons suffisent à leur bonheur. L’argent et le commerce des apparences guident bien des comportements, mais rien n’est jamais perdu, nous souffle l’écrivain quand il entraîne le lecteur au sein d’un lycée défavorisé où le timide cinéphile Ernest rêve de devenir cinéaste.
La bande-son d’Une Balade dans la nuit plonge dans le répertoire soul et funk des années 70, sans oublier (trafic d’herbe oblige) le reggae. Il y a encore dans ce polar des clins d’œil au cinéma ou une explication de texte de Donald Westlake, autant de digressions qui font le prix et l’originalité du roman. Entre les manipulations et les règlements de comptes attendus, cette nouvelle déclaration d’amour, lucide et parfois désolée, à Washington fait entendre des accents émouvants, personnels, délivrés de toutes les conventions du genre.
Une Balade dans la nuit – Calmann-Lévy