CRITIQUE, concerts, LA ROQUE D‘ANTHERON, les 7 et 8 Août 2023, Intégrale Cto. Piano Rachmaninov, KANTOROW, GOUIN, MALOFEEV, SINFONIA VARSOVIA, SCHOKHAKIMOV.
Une intégrale des concertos de Rachmaninov contrastée et
toujours virtuose !
Nous avons pu assister aux deux premiers concerts de l’intégrale des concertos de piano composés par Rachmaninov. Il est passionnant d’entendre trois concertos ou équivalent par trois pianistes aux styles si différents. Alexandre Kantorow tout auréolé du succès de sa carte blanche fait salle comble une nouvelle fois. Le premier concerto lui va comme un gant. Avec une assurance confondante il en assume toute la virtuosité en rajoutant continuellement une dimension musicale qui rend son interprétation absolument passionnante. Car Rachmaninov a souffert un temps d’une image de pur technicien aux effets faciles pour le public. Si les thèmes sont toujours immédiatement repérables et sembler faciles il n’en est rien ; ce concerto est très habilement construit. Dès le début le thème très romantique donne beaucoup de profondeur au propos. Alexandre Kantorow s’en empare et avance vers toujours plus de finesse interprétative. Son piano est extrêmement nuancé, toujours plein de couleurs variées et la puissance se mêle à la poésie de la plus belle manière. Le Sinfonia Varsovia dans les divers solos est très impliqué et offre de beaux moments chambristes au pianiste. Le chef ouzbèke Aziz Shokhakimov a une conception de l’orchestre particulière basée sur la puissance et même une certaine violence dans sa manière de diriger. Les effets orchestraux sont toujours tirés vers le spectaculaire. Il n’est pas du tout certain que c’est le partenaire le plus à même de dialoguer avec le piano si sensible de Kantorow. Dans les forte orchestraux un peu brutaux Alexandre Kantorow tient le choc sans siller mais finalement pourquoi tant de bruit ? La musique de Rachmaninov en sort-t-elle grandie ?
La cadence du premier mouvement permet au tempérament romantique et poétique de Kantorow de s’épanouir enfin. Le deuxième mouvement est le plus réussi, l’orchestre plus subtil dialogue amicalement avec le pianiste rasséréné. C’est très beau de sentir le pianiste heureux et autorisé à nuancer finement, de phraser délicatement et de colorer subtilement son piano. Il chante à cœur ouvert et l’orchestre lui répond. Le final reprend un ton martial du côté de l’orchestre et le pianiste se raidit un peu. La virtuosité explose de toute part. C’est très brillant. Puis la partie centrale s’apaise et la course poursuite finale est jubilatoire. Le public exulte et fête Alexandre Kantorow en prince du piano. Un public aussi enthousiaste dans une salle archi pleine en est le signe. Deux bis vont enchanter le public une valse triste de Vecsey arrangée par Cziffra, pour un moment très romantiquement échevelé et de Mompou la chanson et danse n°6 d’une délicate mélancolie.
Le lendemain c’est Nathanaël Gouin qui s’empare des variations rhapsodiques sur un thème de Paganini. On peut dire que c’est le dernier concerto de Rachmaninov. Le pianiste français progresse régulièrement et sa carrière internationale s’intensifie. Ses derniers enregistrements sont plébiscités. De Rachmaninov il a enregistré le premier concerto et les variations Paganini. Il propose donc au public une version murie par des recherches approfondies. Son jeu est analytique, très pur et sa lecture éclaire d’un jour intéressant la vaste partition. La virtuosité ne le met pas en difficulté et une poésie distanciée va bien à cette musique. Le hiatus vient de la direction du chef qui reste dans sa vision de recherche de puissance dès qu’il le peut. Le soliste et le chef restent chacun sur leur planète et ne se rencontrent pas. Les solistes de l’orchestre eux arrivent dans les moments solos à partager la musique avec Nathanaël Gouin. Le beau piano pur et analytique de Nathanaël Gouin trouvera avec un chef plus délicat à approfondir son propos particulièrement intéressant. Dans deux bis intelligents il ravit le public par ce même jeu très élégant. D’abord une paraphrase virtuose de sa main de l’air de Nadir des Pécheurs de Perles de Bizet. Puis un prélude de Rachmaninov très lyrique.
Le deuxième concerto de Rachmaninov est un tube qui se retrouve partout au cinéma et dans les publicités. Cela n’enlève rien à sa beauté intrinsèque toujours révélée dans chaque nouvelle interprétation. Ce soir le jeune Alexander Malofeev du haut de ses 22 ans va affronter le monument pianistique !
Ce jeune pianiste russe est en fait un colosse dès qu’il touche un piano. Le début mythique du concerto repose sur un savant crescendo des accords du pianiste. Ce jeune homme semble pouvoir faire un crescendo infini et l’orchestre n’arrivera pas à le faire disparaitre dans son fortissimo, même si Aziz Shokhakimov s’y emploie avec application ! Le reste du concerto sera grandiose, le pianiste russe a des moyens colossaux et au jeu du plus fort le chef perd sans jamais arriver à le couvrir, le combat bon enfant est tout de même assez terrifiant par instants. Heureusement le mouvement lent magique permettra un rêve de paix et de pure beauté. Le piano de Malofeev est incroyablement large et le son est plein y compris dans les pianissimi, c’est un piano de première grandeur. Les longues phrases se déplient lyriques et pleines, les nuances sont incroyablement creusées. La virtuosité est sidérante, la solidité rythmique quasi surhumaine. Avec l’expérience de rencontres musicales au sommet, qu’il mérite de faire, ce jeune artiste va devenir un des plus grands pianistes de sa génération.
Lors des bis et c’est un signe les musiciens du Varsovia restent sans bouger comme ils l’avaient fait pour Kantorow. Ces deux bis sont aussi spectaculaires que la prestation dans le concerto. Une main gauche d’acier exulte dans le prélude pour la main gauche de Scriabine puis dans une toccata absolument diabolique de Prokofiev le jeu staccato et roboratif d’Alexander Malofeev fait merveille.
En deux soirs nous avons bénéficié de trois concertos avec des pianistes aux personnalités très différents, la Roque propose des moments pianistiques vraiment très stimulants ! Coté chef c’est autre chose …
Hubert Stoecklin
Critique. Concerts. La Roque d’Anthéron. Parc du Château Florans les 7 et 8 Aout 2023. Intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov soirées 1 et 2. Sergeï Rachmaninov (1873-1943) ; Concerto pour piano n°1 en fa dièse mineur op.1 ; Concerto pour piano n°2 en ut mineur op.18 ; Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 42 ; Grazyna Bacewicz (1909-1969) : Ouverture pour orchestre symphonique ; Nicola Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade suite symphonique op.35 ; Alexandre Kantorow, Nathanaël Gouin et Alexander Malofeev : piano ; Sinfonia Vasovia ; Aziz Shokhakimov, direction.
Photos : Valentine Chauvin
Nathanaël Gouin dans la romance de Nadir
Alexander Malofeev dans le deuxième concerto