Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
M le maudit de Fritz Lang
Dans le quartier populaire d’une ville allemande, une mère attend le retour de l’école de sa petite fille. Celle-ci, attirée par le ballon gonflable que lui offre un inconnu, ne reviendra pas chez elle. Elle est la nouvelle victime d’un tueur en série s’en prenant à des enfants. La psychose et la peur, attisées par la presse, enflent dans la population. La police, qui croule sous les lettres de dénonciation, arpente en vain les bas-fonds. Dans les rues, on manque de lyncher des innocents injustement soupçonnés. De son côté, la pègre s’organise. Comme les autorités, elle veut mettre la main sur l’assassin dont les crimes perturbent l’ordre social et par là même le bon fonctionnement de ses affaires. Les malfrats se transforment donc en auxiliaires de police et ce seront eux qui mettront la main sur le criminel afin de le juger à leur façon.
Premier film parlant de Fritz Lang, M le maudit, réalisé en 1931, demeure d’une modernité intacte par son intrigue de base et surtout par l’éclat intemporel de sa mise en scène. Lang et sa scénariste – Thea von Harbou, deuxième épouse du cinéaste – s’intéressent moins à la résolution d’une enquête criminelle (le spectateur connaît le coupable dès le début) qu’à la peinture d’une société déliquescente, en crise (économique et morale) où la pègre semble fonctionner de la même façon que les institutions légales. En outre, le film offre un tableau du lumpenprolétariat totalement fidèle à la définition du concept forgé par Marx : « éléments déclassés, voyous, mendiants, voleurs, indicateurs de police ». Ce sont d’ailleurs deux mendiants qui vont identifier le tueur et permettre sa capture par les voyous au terme d’une chasse à l’homme.
Ambiguïté
Beaucoup moins marqué par l’expressionnisme que les œuvres précédentes de Lang dont Docteur Mabuse le joueur, Les Nibelungen ou Metropolis, M le maudit frappe par l’extraordinaire force narrative du montage, la composition géométrique des plans et l’utilisation de scènes muettes démontrant paradoxalement l’exploitation virtuose du son. Un ballon qui s’envole dans le ciel, un « M » inscrit à la craie sur l’épaule du meurtrier, quelques notes sifflotées de Peer Gynt, l’ombre d’une silhouette s’élevant devant une fillette : on n’oublie pas de sitôt ces séquences. On n’oublie pas non plus la composition de Peter Lorre, créature maléfique et apeurée, avec ses yeux globuleux et son visage rond.
On présente généralement M le maudit comme une dénonciation de la peine de mort et de la montée du nazisme. Même dans sa version restaurée de 2011 (la plus fidèle au projet initial de Fritz Lang), le film est beaucoup plus ambigu, du fait peut-être de Thea von Harbou, sympathisante affichée des nazis. Ainsi, lors de la parodie de procès, quand le tueur d’enfants déclare indigné « Vous ne pouvez pas commettre un assassinat ! », il est difficile de ne pas partager les éclats de rires de l’assemblée. Certes, Lang condamne la justice expéditive et le désir de vengeance, mais avec une subtilité qui peut échapper à beaucoup. Ce fut le cas de Goebbels qui vit dans le film une apologie de la peine de mort et qui proposa plus tard à Lang de devenir le cinéaste « officiel » des nazis. Il préfèrera fuir l’Allemagne en 1933 et, après une brève escale en France, accomplira à Hollywood une carrière ponctuée d’innombrables chefs-d’œuvre.
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